Réunion particulière, 10 mars 1863. - Médium, madame Costel
Mon souvenir vient d'être évoqué par mon portrait et par mes vers ; deux
fois touchée dans ma vanité féminine et dans mon amour-propre de poète,
je viens reconnaître votre bienveillance en esquissant à grands traits
la silhouette des faux dévots, qui sont à la religion ce qu'est la
fausse honnête femme à la société. Ce sujet rentre dans le cadre de mes
études littéraires dont lady Tartufe exprimait une nuance.
Les
faux dévots sacrifient aux apparences, et trahissent le vrai ; ils ont
le cœur sec et les yeux humides, la bourse fermée et la main ouverte ;
ils parlent volontiers du prochain en critiquant ses actions d'une façon
doucereuse qui exagère le mal et amoindrit le mérite. Très ardents à la
conquête des biens matériels ou mondains, ils se cramponnent aux
trésors imaginaires que la mort disperse, et négligent les vrais biens
qui servent à la fin de l'homme et sont la richesse de l'éternité. Les
hypocrites de la dévotion sont les reptiles de la nature morale ; vils,
bas, ils évitent les fautes châtiées par la vindicte publique, et
commettent dans l'ombre des actes sinistres. Que de familles désunies,
spoliées ! que de confiances trahies ! que de larmes, et même que de
sang !…
La comédie est l'envers de la tragédie ; derrière le
scélérat marche le bouffon, et les faux dévots ont pour acolytes des
êtres ineptes qui n'agissent que par imitation ; ils reflètent, à la
façon des miroirs, la physionomie de leurs voisins. Ils se prennent au
sérieux, se trompent eux-mêmes, raillent par timidité ce qu'ils croient,
exaltent ce dont ils doutent, communient avec ostentation, et brûlent
en cachette de petits cierges auxquels ils attribuent beaucoup plus de
vertu qu'à la sainte hostie.
Les faux dévots sont les vrais
athées de la vertu, de l'espérance, de la nature et de Dieu ; ils nient
le vrai et affirment le faux. Cependant la mort les emportera
barbouillés du fard et couverts des oripeaux qui les déguisaient, et les
jettera pantelants en pleine lumière.
Delphine de Girardin.