Cercle spirite de Tours Discours prononcé par le président dans la séance d'installation
Mardi, 12 novembre 1862.
« Messieurs,
Je dois tout d'abord remercier les Esprits protecteurs
de notre petite société naissante d'avoir bien voulu me désigner à vous pour la
présidence ; je tâcherai de justifier ce choix, qui m'honore, en veillant
scrupuleusement à ce que les travaux de nos réunions aient toujours un
caractère sérieux et moral, but que nous ne devrons jamais perdre de vue, sous
peine de nous exposer à bien des déceptions.
Que venons-nous chercher ici, messieurs, loin du bruit
des affaires mondaines ? La science de nos destinées. Oui, tous tant que
nous sommes dans cette modeste enceinte qui s'agrandira, qui s'élèvera, je
l'espère, par la grandeur et la hauteur du but que nous poursuivons, nous
cédons au désir bien naturel de déchirer le voile épais qui cache aux pauvres
humains le redoutable mystère de la mort, et de savoir s'il est vrai, comme
l'enseigne une fausse science, et comme le croient, hélas ! tant de
malheureux Esprits égarés, que la tombe ferme le livre des destinées de
l'homme.
Je sais bien que Dieu a placé dans le cœur de chacun
un flambeau destiné à éclairer ses pas à travers les rudes sentiers de la
vie : la raison ; et une balance propre à peser toutes choses selon
leur exacte valeur : la justice ; mais quand la vive et pure lumière
de ce flambeau directeur, de plus en plus affaiblie par le souffle impur des
passions perverties, est sur le point de s'éteindre ; quand cette
balance de la justice a été faussée par l'erreur et le mensonge ; quand le
chancre du matérialisme, après avoir tout envahi, jusqu'aux religions, menace
de tout dévorer, il faut bien que le Juge suprême vienne enfin, par des
prodiges de sa toute-puissance, par des manifestations insolites, capable de
frapper violemment l'attention, redresser les voies de l'humanité et la retirer
de l'abîme.
Au point de dégradation morale où sont tombées les
sociétés modernes, sous l'influence des fausses et pernicieuses doctrines
tolérées, sinon encouragées, par ceux-là mêmes qui ont mission spéciale de les
réprimer ; au milieu de cet indifférentisme général pour tout ce qui n'est
pas matière, de ce sensualisme outré, exclusif, de cette fureur, inconnue
jusqu'à nous, d'enrichissement à tout prix, de ce culte effréné du veau d'or,
de cette passion désordonnée du lucre, qui engendre l'égoïsme, glace tous les
cœurs en faussant toutes les intelligences, et tend à la dissolution des liens
sociaux, les communications d'outre-tombe peuvent être considérées comme une
révélation divine, devenue nécessaire au rappel à l'ordre, de la part de la
Providence qui ne peut pas laisser périr sans secours sa créature de
prédilection. Et, à la rapidité avec laquelle se répandent sur tous les points
du globe les enseignements de la doctrine spirite, il est facile de prévoir que
l'heure approche où l'humanité, après un temps d'arrêt, va franchir une
nouvelle étape, subir une nouvelle phase de développement dans sa progression
intermittente à travers les siècles.
Quant à nous, messieurs, remercions la Providence
d'avoir daigné nous choisir pour répandre et faire fructifier sur ce petit coin
de terre la semence spirite, et coopérer ainsi, dans la mesure de nos forces, à
la grande oeuvre de régénération morale qui se prépare.
Je m'occupe en ce moment, à propos d'une question
médicale, quelques-uns d'entre vous le savent, d'un travail philosophique
important où j'essaye d'expliquer rationnellement les phénomènes physiologiques
du Spiritisme, et de les rattacher à la philosophie générale. Avant de publier
ce travail, essentiellement anti-matérialiste, qui n'est guère du reste encore
qu'une ébauche, je me propose de vous le communiquer pour prendre votre avis
sur l'opportunité de soumettre à l'approbation des Esprits élevés qui veulent
bien nous assister, les principaux points de doctrine qu'il renferme. Nous
pourrions trouver là, d'ailleurs, toutes préparées et méthodiquement disposées
d'avance, la plupart des questions qui doivent faire le sujet de nos entretiens
Spirites.
« Il ne faut jamais perdre de vue, Messieurs, le
but essentiel du Spiritisme, qui est la destruction du matérialisme par la
preuve expérimentale de la survivance de l'âme humaine. Si les morts répondent
à notre appel, s'ils viennent se mettre en communication avec nous, c'est
qu'évidemment ils ne sont pas tout à fait morts ; c'est que le dernier
râle de l'agonie n'a pas marqué pour eux le terme définitif de leur existence.
Tous les sermons du monde ne valent pas à cet égard un argument comme celui-là.
C'est pourquoi il est de notre devoir, à nous
croyants, de répandre la lumière autour de nous et de ne pas la tenir enfermée
sous le boisseau, c'est-à-dire, dans cette étroite enceinte qui doit, au
contraire, devenir par notre zèle un foyer rayonnant. Est-ce à dire que nous
devions convier tout le monde à nos réunions, accueillir le premier venu qui
manifeste la curiosité de nous voir à l'œuvre, comme s'il s'agissait de voir
opérer un prestidigitateur ? Ce serait maladroitement exposer aux chances
du ridicule la chose la plus sérieuse du monde et nous compromettre en même
temps nous-mêmes. Mais toutes les fois qu'une personne dont nous n'aurons aucun
motif de suspecter la bonne foi, et qui aura puisé dans la lecture des ouvrages
spéciaux des notions sur le Spiritisme, désirera se rendre témoin des faits,
nous devrons adhérer à sa demande, seulement il sera bon de réglementer ces
sortes d'admissions, et de n'admettre à nos séances aucune personne étrangère
sans que la société, consultée, ait émis préalablement son avis à cet égard.
Messieurs, lorsqu'il y a deux ans à peine nous
constations avec un de nos sociétaires, chez un ami commun, les phénomènes
spirites de l'ordre mécanique et de l'ordre intellectuel les plus étonnants,
malgré l'évidence des faits dont nous étions témoins, malgré notre conviction
profonde que ces manifestations extraordinaires se passaient en dehors des lois
naturelles connues, nous osions à peine en faire timidement part à nos
connaissances intimes, tant nous craignions que l'on mit en doute l'intégrité
de notre raison. Le Livre des Esprits, alors à peu près inconnu à Tours, n'en
était encore qu'à sa première ou, tout au plus, à sa deuxième édition, à cette
époque, en un mot, il n'avait guère franchi les limites de la capitale. Eh
bien, voyez donc quel immense progrès dans l'espace de trois ans !
Aujourd'hui le Spiritisme a pénétré partout, a des adeptes dans tous les rangs
de la société ; des réunions, des groupes plus ou moins nombreux
s'organisent dans toutes les villes, grandes ou petites, en attendant le tour
des villages ; aujourd'hui les ouvrages spirites sont étalés chez tous les
libraires, qui ont de la peine à satisfaire aux demandes de leur clientèle,
avide de s'initier aux grands mystères des évocations ; aujourd'hui, enfin
le Spiritisme vulgarisé, connu de tous à un titre quelconque, n'est plus un
épouvantail, un signe de réprobation ou de dédain, et nous pouvons hardiment,
sans crainte de passer pour fous, avouer le but de nos réunions ; nous
pouvons défier la raillerie et le sarcasme et dire aux persifleurs :
« Avant de nous tourner en ridicule, veuillez du moins nous compter, sinon
nous peser. »
Quant à l'anathème d'un parti, nous apprécions trop sa
faible portée pour nous en inquiéter. Ils disent que nous avons pactisé avec le
diable, soit ; mais alors il faut convenir que les diables ne sont pas
tous de trop mauvais diables. Notre vrai crime, à leurs yeux, c'est notre
prétention, assurément fort légitime, de communiquer avec Dieu et ses saints
sans leur intermédiaire obligé. Prouvons-leur que, grâce aux enseignements de
ceux qu'ils appellent Démons, nous comprenons la morale sublime de l'Évangile,
qui se résume dans l'amour de Dieu et de ses semblables, dans la charité
universelle. Embrassons l'humanité tout entière, sans distinction de culte, de
race, d'origine, et, à plus forte raison, de famille, de fortune et de
condition sociale. Qu'ils sachent bien que notre Dieu, à nous Spirites, n'est
pas un tyran cruel et vengeur qui punit un instant d'égarement par des tortures
éternelles, mais un père bon et miséricordieux qui veille sur ses enfants
égarés avec une sollicitude incessante, et cherche à les rapprocher de lui par
une série d'épreuves destinées à les laver de toutes leurs souillures. N'est-il
pas écrit : que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais sa
conversion ?
Au surplus, nous nous réservons expressément, ici
comme partout, les droits imprescriptibles de la raison qui doit tout dominer,
tout juger en dernier ressort. Nous ne disons pas aux récalcitrants, en les
conduisant, au pied du bûcher : Crois ou meurs, mais crois si la raison le
veut.
Encore un mot pour terminer, messieurs, car je ne
voudrais pas abuser de votre attention. L'institution de notre société n'ayant,
ne pouvant avoir d'autre but que notre instruction et notre amélioration
morale, nous devons écarter avec le plus grand soin de nos séances toute
question se rattachant d'une manière directe ou indirecte, soit aux personnes,
soit à la politique, soit aux intérêts matériels. Etude de l'homme par rapport
à ses destinées futures, tel est notre programme, et nous ne devrons jamais
nous en départir. »
Chauvet, docteur médecin.
Ce discours est suivi de la communication ci-après,
obtenue spontanément par l'un des médiums de la société :
« Mes amis, le but de votre société est de vous
instruire et de ramener l'homme égaré à la lumière depuis si longtemps
obscurcie par les ténèbres qui règnent dans ce siècle. Vous ne devez pas
regarder cette institution comme venant vous instruire sur des questions de
droit ou de science ; elle vient tout simplement vous disposer à entrer
dans la nouvelle voie de régénération que vous devez parcourir sans crainte, en
mettant votre confiance dans les instructions que vous recevrez. Vous ne devez
rien craindre, car Dieu veille sur l'homme qui fait le bien, et ne l'abandonne
pas.
Je vous ai entendus discuter à propos d'un article du
règlement sur l'admission des personnes étrangères à votre société. Écoutez un
peu les conseils d'un ami, ou plutôt d'un frère qui vous parle, non de bouche
mais de cœur, non matériellement mais spirituellement ; car, croyez-le,
quand je franchis pour venir à vous tous les degrés des Esprits impurs, cet
espace à parcourir ne me paraît pas pénible si je vois votre cœur animé des
sentiments du bien.
Lorsqu'une personne étrangère demandera à assister à
vos séances, avant de l'admettre, faites-la venir en particulier dans votre
cabinet, et, dans la conversation, sondez ses sentiments et voyez si elle est
instruite dans la nouvelle doctrine. Si vous découvrez en elle le désir du bien
et non une simple curiosité ; si elle vient animée d'intentions sérieuses,
alors vous pourrez sans crainte l'admettre, mais repoussez quiconque ne
viendrait qu'avec la pensée de troubler vos séances et de mépriser vos
enseignements. Songez aussi que les espions se glissent partout : Jésus en
a bien eu.
Si quelqu'un se présente en se disant Spirite ou
médium, ne le recevez pas sans savoir à qui vous avez affaire. Vous n'ignorez
pas qu'il existe des médiums pleins de frivolité et d'orgueil, et qui, par cela
même, n'attirent que des Esprits légers. On l'a dit souvent : qui se
ressemble s'assemble. Un vrai Spirite ne doit avoir d'autre sentiment que le
bien et la charité, sans cela il ne peut être assisté par des Esprits sages.
Sans doute la perte d'un médium peut faire un vide
parmi vous, mais il ne faut pas croire pour cela que vous n'aurez plus
d'instructions de notre part, car nous serons toujours prêts à venir vous assister
dans vos travaux autant que Dieu le permettra. Si un bon médium vous est
enlevé, c'est que Dieu sans doute le destine à une autre mission, qu'il croit
plus utile. Qui sait ce qui l'attend ? Il est de ces choses que l'homme ne
peut comprendre, et qu'il lui faut cependant accepter.
La route que vous allez parcourir, mes amis, est rude
à gravir, mais, avec l'aide de vos frères, qui sont au-dessus de vous, vous y
parviendrez.
Une autre fois, je l'espère, nous vous instruirons sur
des questions plus graves. »
Signé : Fénelon.