Thionville, 25 décembre 1862. - M. le docteur R…
Nous vous avons fait entrevoir l'aurore de la régénération humaine ;
vous devez voir là, comme dans toute la marche de l'humanité à travers
les âges, le doigt de Dieu.
Nous vous l'avons dit bien souvent :
Tout ce qui arrive ici-bas, comme tout ce qui se passe dans l'univers
entier, est soumis à une loi générale : celle du progrès.
Inclinez-vous devant elle, orgueilleux et superbes qui prétendez vous
mettre au-dessus des décrets du Très-Haut ! Cherchez partout la cause de
vos malheurs comme de vos jouissances, vous y reconnaîtrez toujours le
doigt de Dieu.
Mais, direz-vous, le doigt de Dieu, c'est donc
le fatalisme ! Ah ! gardez-vous de confondre ce mot impie avec les lois
que la Providence vous a imposées, la Providence, qui a dû vous laisser
votre libre arbitre pour vous laisser en même temps le mérite de vos
actes, mais qui en tempère la rigueur par cette voix, si souvent
méconnue, qui vous avertit du danger auquel vous vous exposez.
Le fatalisme, c'est la négation du devoir, parce que notre sort étant fixé d'avance, il ne nous appartient pas de le changer.
Que deviendrait le monde avec cette effroyable théorie qui
abandonnerait les hommes aux perfides suggestions des plus mauvaises
passions ? Où serait le but de la création ? où serait la raison d'être
de l'ordre admirable qui règne dans l'univers ?
Le doigt de
Dieu, au contraire, c'est la punition toujours suspendue sur la tête du
coupable ; c'est le remords qui le ronge au cœur, en lui reprochant ses
crimes à chaque instant du jour ; c'est l'affreux cauchemar qui le
torture pendant de longues nuits sans sommeil ; c'est cette trace
sanglante qui le suit en tous lieux, comble pour reproduire sans cesse à
ses yeux l'image de ses forfaits ; c'est la fièvre qui tourmente
l'égoïste ; ce sont les angoisses perpétuelles du mauvais riche, qui
voit dans tous ceux qui l'approchent des spoliateurs disposés à lui
ravir un bien mal acquis ; c'est la douleur qu'il éprouve à son heure
dernière de ne pouvoir emporter ses inutiles trésors !
Le doigt
de Dieu, c'est la paix du cœur réservée à l'homme juste ; c'est ce doux
parfum qui vous remplit l'âme après une bonne action ; c'est cette
suave jouissance qu'on éprouve toujours à faire le bien ; c'est la
bénédiction du pauvre qu'on assiste, c'est le doux regard d'un enfant
dont on a séché les larmes ; c'est la prière fervente d'une pauvre mère à
laquelle on a procuré le travail qui doit l'arracher à la misère ;
c'est en un mot le contentement de soi-même.
Le doigt de Dieu,
enfin, c'est la justice grave et austère, tempérée par la miséricorde !
le doigt de Dieu, c'est l'espérance, qui n'abandonne pas l'homme dans
ses plus cruelles souffrances, qui le console toujours et qui laisse
entrevoir au plus criminel, que le repentir a touché, un coin de la
céleste demeure dont il se croyait repoussé à tout jamais !
Esprit familier.