Ce qui s'oppose souvent à ce que vous vous corrigiez d'un défaut, d'un
vice, c'est assurément parce que vous ne vous apercevez même pas que
vous l'avez. Tandis que vous voyez les moindres défauts de votre voisin,
de votre frère, vous ne vous doutez même pas que vous avez les mêmes
défauts, peut-être cent fois plus grands que les siens. Ceci n'est
qu'une suite de l'orgueil qui vous porte, comme tous les êtres
imparfaits, à ne trouver rien de bien qu'en vous. Vous devriez vous
considérer un peu comme si ce n'était point vous. Figurez-vous, par
exemple, que ce que vous avez fait à votre frère, c'est votre frère qui
vous l'a fait ; mettez-vous à sa place, que feriez-vous ? Répondez sans
arrière-pensée, car je crois que vous voulez la vérité. En faisant cela
je suis sûr que vous vous trouverez souvent des défauts que vous
n'aperceviez pas auparavant. Soyez franc avec vous-même ; faites un peu
connaissance avec votre caractère, mais ne le gâtez pas, car les enfants
que l'on gâte deviennent souvent bien mauvais, et ceux qui les ont
gâtés sont les premiers à en ressentir les effets. Retournez un peu la
besace où sont placés vos défauts et ceux d'autrui ; mettez les vôtres
par-devant et ceux d'autrui par derrière, et regardez bien si cela ne
vous fait pas baisser la tête, quand vous aurez cette charge-là,
par-devant.
La Fontaine.