Nous avons déjà parlé de la maison de retraite fondée
à Cempuis, près Grandvilliers, dans le département de l'Oise, par M. Prévost,
membre de la Société spirite de Paris. Cette construction est aujourd'hui
terminée ainsi que les installations intérieures. Attenant à l'établissement,
quoique formant un corps de bâtiment isolé, est une chapelle de style gothique
et d'un aspect monumental. L'inauguration de cette chapelle a eu lieu le
dimanche 19 juillet dernier, jour de Saint-Vincent de Paul, à qui elle est
dédiée, par une cérémonie toute de charité, c'est-à-dire par une distribution
de pain, de vin et de viande aux pauvres de la paroisse. M. Prévost a
prononcé à ce sujet le discours suivant, que nous sommes heureux de pouvoir
reproduire :
« Messieurs,
Le but de cette réunion vous est connu ; je ne
m'étendrai donc pas sur des détails sans utilité, et qui ne vous apprendraient
rien que vous ne sachiez déjà. L'œuvre matérielle est aujourd'hui à peu près
accomplie, grâce à la protection évidente du Tout-Puissant, qui a daigné
seconder mes efforts. Nous sommes ici en famille, tous, je n'en doute pas,
animés des mêmes sentiments pour sa divine bonté ; unissons-nous donc dans
un commun élan de gratitude ; prions-le de nous continuer son assistance
et de nous donner les lumières qui nous manquent.
Dieu du ciel et de la terre, souverain maître de
toutes choses, aie pitié de notre faiblesse ; élève nos cœurs vers toi,
afin que nous apprenions à remplir nos devoirs selon ta volonté, et pour que
toutes nos actions soient en rapport avec ta loi universelle. Seigneur, fais
que notre âme soit remplie de ton amour ; qu'elle se passionne du feu
sacré de la conviction, et qu'elle prouve sa foi par des actes d'une véritable
charité. Toutes paroles, quelque bonnes qu'elles soient, si elles ne sont
suivies des effets de la bienveillance envers tes créatures, ressemblent à un
bel arbre qui ne rapporte pas de fruits.
Aide-nous donc, Puissance infinie, à surmonter les
obstacles qui pourraient s'élever sur nos pas, et entraver notre désir de nous
rendre utiles dans la mission pour laquelle tu nous as choisis ;
donne-nous la force nécessaire pour l'accomplir avec amour et sincérité.
Les bons secours donnés à la vieillesse te sont
agréables, mon Dieu, parce qu'ils sont un acte de justice ; elle nous a
précédés dans la voie ; le sillon qu'elle a tracé a été arrosé de ses
sueurs, et nous en recueillons les fruits ; aujourd'hui son expérience est
un champ déjà moissonné, mais où nous trouvons encore à glaner ; il est
donc juste que nous la dédommagions de ses sacrifices en lui assurant le repos
après le travail. C'est un devoir pour nous, car nous voudrions qu'on le
remplît envers nous-mêmes ; mais pour l'accomplir dignement il nous faut
ton assistance, car nous avons conscience de notre faiblesse.
C'est aussi en ton nom, Seigneur, que l'orphelin
trouvera ici une nouvelle famille ; l'enfant abandonné grandira chez nous
à la douce chaleur du feu divin dont tu as favorisé saint Vincent de Paul, que
nous prions de nous assister, afin que nous puissions accomplir cet acte à son
exemple.
Esprit infini, tout est en toi, tout est par toi, rien
n'est hors de toi ; les châtiments, comme les récompenses, nous viennent
de ta main bénie ; tu connais nos besoins, nous sommes tes enfants, et
nous nous en remettons à ta divine Providence.
Les bons Esprits qui président sous ton regard
paternel aux destinées de la terre, les anges gardiens des hommes, ont mérité
ta confiance, Seigneur ; nous espérons que, par toi, ils nous aideront à
conserver intact le sublime code moral promulgué par le Christ, ton fils
bien-aimé. - Aimez Dieu, nous dit-il du haut de la croix, depuis dix-huit
siècles ; aimez-vous les uns les autres ; aimez votre prochain comme
vous-mêmes ; pratiquez la charité envers tous et en toutes choses. Voilà
sa loi, Seigneur, et cette loi est la tienne ; puisse-t-elle se graver
dans nos cœurs, et nous faire voir des frères dans tous nos semblables, qui
comme nous sont tes enfants. Ainsi soit-il.
Mes amis, mes frères, suivons ce grand exemple, et
ayons une foi sincère en Dieu ; il nous aidera à supporter les suites de
la mauvaise direction que l'oubli de ces devoirs a imprimée à la société, dans
des temps déjà loin de nous. Aujourd'hui beaucoup de choses rentrent dans l'ordre
prescrit par le Créateur ; malgré l'égoïsme qui domine encore chez un
grand nombre, l'amour fraternel se comprend mieux ; les préjugés de
castes, de sectes et de nationalités s'effacent peu à peu ; la tolérance,
une des filles de la charité évangélique, fait peu à peu disparaître ces
antagonismes qui ont si longtemps divisé les enfants d'un même Dieu ; les
sentiments d'humanité s'infiltrent dans le cœur des masses et ont déjà réalisé
de grandes choses sur divers points de la terre. En France, de nombreuses
fabriques restées sans ouvrage ont éprouvé naguère les doux effets de cet amour
du prochain. Cet élan pour la souffrance parle bien haut en faveur de notre
pays ; il faut y voir la main de Dieu. C'est avec joie que nous voyons la
première nation du monde civilisé porter jusque sur les plages les plus
lointaines les fruits de cet amour de l'humanité qui seul donne la véritable
grandeur, et qu'elle a puisé au centre rayonnant de la croix, aidée par la
lumière du progrès qui oblige l'homme à être meilleur envers son semblable et à
le devenir lui-même.
« J'espère, mes amis, avec le concours des hommes
instruits et bienveillants, former ultérieurement une bibliothèque morale et
instructive annexée à cet établissement, où chacun pourra puiser les moyens de
s'améliorer autant sous le rapport de l'esprit que sous celui du cœur.
Je vous remercie bien sincèrement, vous tous qui êtes
venus à mon appel offrir en commun des actions de grâce à la Divinité, en
reconnaissance de l'inspiration qu'elle a donnée de la fondation de
l'établissement.
A partir de ce jour, 19 juillet 1863, cette chapelle,
dédiée à saint Vincent de Paul, dont elle retrace sur ses vitraux la douce et
immortelle image, lui est publiquement consacrée par son fondateur, qui veut
que désormais elle soit considérée comme un lieu saint, un lieu de prière. Dieu
doit y être adoré, et devant le symbole de son amour pour les hommes, devant
cette vénérable et grande figure de l'apôtre de la charité chrétienne, on devra
se pénétrer que l'amour du prochain doit être pratiqué par des actes, qu'il
doit être dans le cœur et non sur les lèvres.
Avant de nous séparer, nous allons répéter l'Oraison
dominicale.
Notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom
soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la
terre comme au ciel. Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour.
Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont
offensés. Ne nous laissez point succomber à la tentation, mais préservez-nous
du mal. Ainsi soit-il. »
M. Prévost a bien voulu, à cette occasion, nous
remettre personnellement une somme de 200 fr. pour des œuvres de bienfaisance,
et dont l'emploi n'était malheureusement pas difficile à trouver.
La Société spirite de Paris, au sujet du discours ci-dessus,
a voté à l'unanimité et par acclamation la lettre suivante qui lui a été
adressée :
« Monsieur et très cher collègue,
La Société spirite de Paris, dont vous faites partie,
a entendu avec le plus vif intérêt la lecture du discours que vous avez prononcé
pour l'inauguration de la chapelle de la maison de retraite que vous avez
fondée dans votre propriété de Cempuis. Ce discours est l'expression des nobles
sentiments qui vous animent ; il est digne de celui qui fait un si bon
usage de la fortune acquise par son travail, et qui n'attend pas, pour en faire
profiter les malheureux, que la mort la lui ait rendue inutile, car c'est de
votre vivant que vous vous imposez des privations pour faire leur part plus
large. La Société s'honore de compter parmi ses membres un adepte qui fait une
application aussi chrétienne des principes de la doctrine spirite ; elle a
décidé à l'unanimité de vous transmettre officiellement l'expression de sa vive
et fraternelle sympathie pour l'œuvre d'humanité que vous avez entreprise, et
pour votre personne en particulier.
Recevez, etc., »
La fortune de M. Prévost est entièrement le fruit de
ses œuvres, et il n'en a que plus de mérite ; après avoir subi le
contre-coup des révolutions qui la lui ont fait perdre, il l'a réédifiée par
son courage et sa persévérance. Aujourd'hui que l'âge du repos est arrivé,
qu'il pourrait se donner largement le luxe et les jouissances de la vie, il se
contente du strict nécessaire, et, à l'encontre de beaucoup d'autres, il
n'attend pas, pour faire part de son superflu à ses frères en Jésus-Christ, de
n'avoir plus besoin de rien. Aussi sa récompense sera belle, et il en goûte les
prémices par le plaisir que procure le bien que l'on fait.
M. Prévost a pourtant un grand tort aux yeux de
certaines personnes : c'est d'être Spirite, de professer la doctrine du
démon. Son discours cependant n'est pas celui d'un athée, tant s'en faut, ni
même d'un déiste, c'est celui d'un chrétien ; sa modération même est une
preuve de charité, car il s'est abstenu de médire de son prochain, ni même de
faire aucune allusion à ceux qui mettaient à leur concours des conditions que
sa conscience ne lui permettait pas d'accepter.