(Société spirite d'Alger. — Médium, M. B...).
Pourquoi, dans nos conversations avec les Esprits des personnes que nous
avons le plus chéries, éprouvons-nous un embarras, une froideur même
que nous n'aurions jamais ressentis de leur vivant ?
Réponse. -
Parce que vous êtes matériels et que nous ne le sommes plus. Je vais te
faire une comparaison qui, comme toutes les comparaisons, ne sera pas
absolument exacte ; elle le sera pourtant assez pour ce que je veux
dire.
Je suppose que tu éprouves pour une femme une de ces
passions que les romanciers seuls imaginent chez vous, et que vous
traitez d'exagérées, tandis qu'à nous, elles nous paraissent différer en
moins de celles que nous connaissons par toute l'étendue de l'infini.
Je continue de supposer. Après avoir eu, pendant quelque temps, le
bonheur ineffable de parler chaque jour avec cette femme et de la
contempler à souhait, une circonstance quelconque fait que tu ne peux
plus la voir et dois te contenter de l'entendre seulement ; crois-tu que
ton amour résisterait sans aucune brèche à une situation de ce genre
indéfiniment prolongée ? Avoue qu'il subirait bien quelque modification,
ou, ce que nous autres appellerions une diminution.
Allons
plus loin. Non seulement tu ne peux plus la voir, cette belle amie, mais
tu ne peux même plus l'entendre ; elle est tout à fait séquestrée ; on
ne te laisse pas approcher d'elle ; prolonge cet état pendant quelques
années et vois ce qui arrivera.
Maintenant un pas de plus. Elle
est morte, la femme que tu aimais ; elle est depuis longtemps ensevelie
dans les ténèbres de la tombe. Nouveau changement en toi. Je ne veux
pas dire que la passion soit morte avec son objet, mais je soutiens
qu'elle est au moins transformée. Elle l'est tellement que si, par une
faveur céleste, la femme que tu regrettes tant et que tu pleures
toujours venait à se présenter devant toi, non dans l'odieuse réalité du
squelette gisant au cimetière, mais avec la forme que tu aimais et
adorais jusqu'à l'extase, es-tu bien sûr que le premier effet de cette
apparition imprévue ne serait pas un sentiment de profonde terreur ?
C'est que, vois-tu, mon ami, les passions, les affections vives ne
sont possibles dans toute leur étendue qu'entre gens de même nature,
entre mondains et mondains, entre Esprits et Esprits. Je ne prétends pas
dire par là que toute affection doive s'effacer à la mort ; je veux
dire qu'elle change de nature et prend un autre caractère. En un mot, je
veux dire que sur votre terre vous conservez un bon souvenir de ceux
que vous avez aimés, mais que la matière au milieu de laquelle vous
vivez, ne vous permettant pas de comprendre ni de pratiquer autre chose
que des amours matériels, et que ce genre d'amour étant nécessairement
impossible entre vous et nous, de là vient que vous êtes si gauches et
si froids dans vos rapports avec nous. Si tu veux t'en convaincre, relis
quelques conversations spirites entre parents, amis ou connaissances ;
tu les trouveras d'un glacial à donner froid aux habitants des pôles.
Nous ne vous en voulons pas, nous ne nous en attristons même pas,
quand toutefois nous sommes suffisamment élevés dans la hiérarchie des
Esprits pour nous en rendre compte et comprendre ; mais naturellement ce
n'est pas sans avoir aussi quelque influence sur notre manière d'être
avec vous.
Te souviens-tu de l'histoire d'Hanifa qui, pouvant
se mettre en communication avec sa fille chérie qu'elle a tant pleurée,
lui pose cette première question : Y a-t-il un trésor caché dans cette
maison ? Aussi quelle bonne mystification elle a eue ! Elle ne l'avait
pas volée.
Je pense, mon ami, en avoir dit assez pour que tu
sentes bien la cause de la gêne qui existe nécessairement entre vous et
nous. J'aurais pu en dire davantage ; par exemple, que nous voyons
toutes vos imperfections et impuretés de corps et d'âme, et que, de
votre côté ; vous avez la conscience que nous les voyons. Avoue que
c'est embarrassant pour les deux parties. Place les deux amants les plus
épris dans cette maison de verre où tout apparaît, au moral comme au
physique, et demande-toi ce qui en adviendra.
Quant à nous,
animés d'un sentiment de charité que vous ne pouvez comprendre, nous
sommes, par rapport à vous, comme la bonne mère à qui les infirmités et
les souillures de l'enfant criard qui lui ôte le sommeil ne peuvent
faire oublier un seul instant les instincts sublimes de la maternité.
Nous vous voyons faibles, laids, méchants, et cependant nous vous
aimons, parce que nous tâchons de vous améliorer ; mais vous autres, ne
vous rendez-vous pas justice en nous craignant plus que vous ne nous
aimez.
Désiré Léglise,
Poète algérien, mort en 1851.