REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1862

Allan Kardec

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Mai

Obsèques de M. Sanson - Membre de la Société spirite de Paris.

Un de nos collègues, M. Sanson, est décédé le 21 avril 1862, après plus d'une année de cruelles souffrances. Dans la prévision de sa mort, il avait adressé, le 27 août 1860, à la Société, une lettre dont nous extrayons le passage suivant.

« Cher et honorable Président ;

« En cas de surprise par la désagrégation de mon âme et de mon corps, j'ai l'honneur de vous rappeler une prière que je vous ai déjà faite il y a environ un an ; c'est d'évoquer mon Esprit le plus immédiatement possible et le plus souvent que vous le jugerez à propos, afin que, membre assez inutile de notre Société durant ma présence sur terre, je puisse lui servir à quelque chose outre-tombe, en lui donnant les moyens d'étudier phase par phase, dans ces évocations, les diverses circonstances qui suivent ce que le vulgaire appelle la mort, mais qui, pour nous Spirites, n'est qu'une transformation, selon les vues impénétrables de Dieu, mais toujours utile au but qu'il se propose.

« Outre cette autorisation et prière de me faire l'honneur de cette sorte d'autopsie spirituelle, que mon trop peu d'avancement comme Esprit rendra peut-être stérile, auquel cas votre sagesse vous portera naturellement à ne pas pousser plus loin qu'un certain nombre d'essais, j'ose vous prier personnellement, ainsi que tous mes collègues, de bien vouloir supplier le Tout-Puissant de permettre aux bons Esprits de m'assister de leurs conseils bienveillants, saint Louis, notre président spirituel en particulier, à l'effet de me guider dans le choix et sur l'époque d'une réincarnation ; car, dès à présent, ceci m'occupe beaucoup ; je tremble de me tromper sur mes forces spirituelles, et de demander à Dieu, et trop tôt, et trop présomptueusement, un état corporel dans lequel je ne pourrais justifier la bonté divine, ce qui, au lieu de servir à m'avancer, prolongerait ma station sur terre ou ailleurs, dans le cas où j'échouerais.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Cependant, ayant toute confiance dans la mansuétude et l'indulgente équité de notre Créateur et de son divin Fils, et enfin m'attendant avec une humble résignation à subir les expiations de mes fautes, sauf ce que daignera m'en remettre la miséricorde de l'Éternel, je le répète, ma grande préoccupation c'est la crainte poignante de me tromper dans le choix d'une réincarnation, si je n'y suis aidé et guidé par des Esprits saints et bienveillants qui pourraient me trouver indigne de leur intervention, s'ils n'y sont sollicités que par moi seul ; mais dont la commisération peut être éveillée, dès que, par charité chrétienne, ils seraient invoqués par vous tous en ma faveur. Donc, je prends la liberté de me recommander à vous, cher Président, et à tous mes honorables collègues de la Société spirite de Paris. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . »

Pour nous conformer au désir de notre collègue d'être évoqué le plus tôt possible après son décès, nous nous sommes rendu à la maison mortuaire avec quelques membres de la Société, et, en présence du corps, l'entretien suivant a eu lieu une heure avant l'inhumation. Nous avions en cela un double but, celui d'accomplir une dernière volonté, et celui d'observer une fois de plus la situation de l'âme à un moment si rapproché de la mort, et cela chez un homme éminemment intelligent et éclairé, et profondément pénétré des vérités spirites ; nous tenions à constater l'influence de ces croyances sur l'état de l'Esprit, afin de saisir ses premières impressions. Notre attente, comme on le verra, n'a pas été trompée, et chacun trouvera sans doute comme nous un haut enseignement dans la peinture qu'il fait de l'instant même de la transition. Ajoutons, toutefois, que tous les Esprits ne seraient pas aptes à décrire ce phénomène avec autant de lucidité qu'il l'a fait ; M. Sanson s'est vu mourir et s'est vu renaître, circonstance peu commune, et qui tenait à l'élévation de son Esprit.



1. Evocation. — Je viens à votre appel pour remplir ma promesse.

2. Mon cher monsieur Sanson, nous nous faisons un devoir et un plaisir de vous évoquer le plus tôt possible après votre mort, ainsi que vous l'avez désiré. - R. C'est une grâce spéciale de Dieu qui permet à mon Esprit de pouvoir se communiquer ; je vous remercie de votre bonne volonté ; mais, je suis faible et je tremble.

3. Vous étiez si souffrant que nous pouvons, je pense, vous demander comment vous vous portez maintenant. Vous ressentez-vous encore de vos douleurs ? quelle sensation éprouvez-vous en comparant votre situation présente à celle d'il y a deux jours ? - R. Ma position est bien heureuse, car je ne ressens plus rien de mes anciennes douleurs ; je suis régénéré et réparé à neuf, comme vous dites chez vous. La transition de la vie terrestre à la vie des Esprits m'avait d'abord tout rendu incompréhensible, car nous restons quelquefois plusieurs jours sans recouvrer notre lucidité ; mais, avant de mourir, j'ai fait une prière à Dieu pour lui demander de pouvoir parler à ceux que j'aime, et Dieu m'a écouté.

4. Au bout de combien de temps avez-vous recouvré la lucidité de vos idées ? - R. Au bout de huit heures ; Dieu, je vous le répète, m'avait donné une marque de sa bonté ; il m'avait jugé assez digne, et je ne saurais jamais assez le remercier.

5. Êtes-vous bien certain de n'être plus de notre monde, et à quoi le constatez-vous ? - R. Oh ! certes, non, je ne suis plus de vote monde ; mais je serai toujours près de vous pour vous protéger et vous soutenir, afin de prêcher la charité et l'abnégation qui furent les guides de ma vie ; et puis, j'enseignerai la foi vraie, la foi spirite, qui doit relever la croyance du juste et du bon ; je suis fort, et très fort, transformé en un mot ; vous ne reconnaîtriez plus le vieillard infirme qui devait tout oublier en laissant loin de lui tout plaisir, toute joie. Je suis Esprit : ma patrie c'est l'espace, et mon avenir Dieu, qui rayonne dans l'immensité. Je voudrais bien pouvoir parler à mes enfants, car je leur enseignerais ce qu'ils ont toujours eu la mauvaise volonté de ne pas croire.

6. Quel effet vous fait éprouver la vue de votre corps, ici à côté ? - R. Mon corps, pauvre et infime dépouille, tu dois aller à la poussière, et moi je garde le bon souvenir de tous ceux qui m'estimaient. Je regarde cette pauvre chair déformée, demeure de mon Esprit, épreuve de tant d'années ! Merci, mon pauvre corps ; tu as purifié mon Esprit, et la souffrance dix fois sainte m'a donné une place bien méritée, puisque je trouve tout de suite la faculté de vous parler.

7. Avez-vous conservé vos idées jusqu'au dernier moment ? - R. Oui, mon Esprit a conservé ses facultés ; je ne voyais plus, mais je pressentais ; toute ma vie s'est déroulée devant mon souvenir, et ma dernière pensée, ma dernière prière a été de pouvoir vous parler, ce que je fais ; et puis j'ai demandé à Dieu de vous protéger, afin que le rêve de ma vie fût accompli.

8. Avez-vous eu conscience du moment où votre corps a rendu le dernier soupir ? que s'est-il passé en vous à ce moment ? quelle sensation avez-vous éprouvée ? - R. La vie se brise, et la vue, ou plutôt la vue de l'Esprit, s'éteint ; on trouve le vide, l'inconnu, et, emporté par je ne sais quel prestige, on se trouve dans un monde où tout est joie et grandeur. Je ne sentais plus, je ne me rendais pas compte, et pourtant un bonheur ineffable me remplissait ; je ne sentais plus l'étreinte de la douleur.

9. Avez-vous connaissance… de ce que je me propose de lire sur votre tombe ?

Remarque. Les premiers mots de la question étaient à peine prononcés que l'Esprit répond avant de laisser achever. Il répond de plus, et sans question proposée, à une discussion qui s'était élevée entre les assistants sur l'opportunité de lire cette communication au cimetière, en raison des personnes qui pourraient ne pas partager ces opinions.

R. Oh ! mon ami, je le sais, car je vous ai vu hier, et je vous vois aujourd'hui, et ma satisfaction est bien grande. Merci ! merci ! Parlez, afin qu'on me comprenne et qu'on vous estime ; ne craignez rien, car on respecte la mort ; parlez donc, afin que les incrédules aient la foi. Adieu ; parlez ; courage, confiance, et puissent mes enfants se convertir à une croyance révérée !

Adieu. J. Sanson.

Pendant la cérémonie du cimetière, il dicta les paroles suivantes :

Que la mort ne vous épouvante pas, mes amis ; elle est une étape pour vous, si vous avez su bien vivre ; elle est un bonheur, si vous avez mérité dignement et bien accompli vos épreuves. Je vous répète : Courage et bonne volonté ! N'attachez qu'un prix médiocre aux biens de la terre, et vous serez récompensés ; on ne peut jouir trop, sans enlever au bien-être des autres, et sans se faire moralement un mal immense. Que la terre me soit légère !



Nota. - Après la cérémonie, quelques membres de la Société s'étant réunis, ils eurent spontanément la communication suivante, à laquelle ils étaient loin de s'attendre.

« Je m'appelle Bernard, et j'ai vécu en 96 à Passy ; c'était alors un village. J'étais un pauvre diable ; j'enseignais, et Dieu seul sait les déboires que j'ai eu à supporter. Quel ennui prolongé ! des années entières de soucis et de souffrances ! et j'ai maudit Dieu, le diable, les hommes en général et les femmes en particulier ; parmi elles, pas une n'est venue me dire : Courage, patience ! il a fallu vivre seul, toujours seul, et la méchanceté m'a rendu mauvais. Depuis ce temps-là, j'erre autour des lieux où j'ai vécu, où je suis mort.

« Je vous ai entendus aujourd'hui ; vos prières m'ont touché profondément ; vous avez accompagné un bon et digne Esprit, et tout ce que vous avez dit et fait m'a ému. J'étais en nombreuse compagnie, et nous avons en commun prié pour vous tous, pour l'avenir de vos saintes croyances. Priez pour nous, qui avons besoin de secours. L'esprit de Sanson qui nous accompagnait a promis que vous penseriez à nous ; je désire me réincarcérer, afin que mon épreuve soit utile et convenable pour mon avenir au monde des Esprits. Adieu mes amis ; je dis ainsi, parce que vous aimez ceux qui souffrent. Pour vous : bonnes pensées, heureux avenir. »

Cet épisode se liant à l'évocation de M. Sanson, nous avons cru devoir le mentionner, parce qu'il renferme un éminent sujet d'instruction. Nous croyons remplir un devoir en recommandant cet Esprit aux prières de tous les vrais Spirites ; elles ne pourront que le fortifier dans ses bonnes résolutions.

L'entretien avec M. Sanson a été repris dans la séance de la Société, le vendredi suivant 25 avril, et doit être continué. Nous avons mis à profit sa bonne volonté et ses lumières, pour obtenir de nouveaux éclaircissements, aussi précis que possible, sur le monde invisible, comparé au monde visible, et principalement sur la transition de l'un à l'autre, ce qui intéresse tout le monde, puisqu'il faut que tout le monde y passe, sans exception. M. Sanson s'y est prêté avec sa bienveillance habituelle ; c'était d'ailleurs, comme on l'a vu, son désir avant de mourir. Ses réponses forment un ensemble très instructif et d'un intérêt d'autant plus grand qu'elles émanent d'un témoin oculaire qui sort d'analyser lui-même ses propres sensations, et qui s'exprime à la fois avec élégance, profondeur et clarté. Nous publierons cette suite dans le prochain numéro.

Un fait important que nous devons faire remarquer, c'est que le médium qui a servi d'intermédiaire le jour de l'enterrement et les jours suivants, M. Leymarie, n'avait jamais vu M. Sanson et ne connaissait ni son caractère, ni sa position, ni ses habitudes ; il ne savait pas s'il avait des enfants, et encore moins si ces enfants partageaient ou non ses idées sur le Spiritisme. C'est donc d'une manière tout à fait spontanée qu'il en parle, et que le caractère de M. Sanson s'est révélé sous son crayon, sans que son imagination ait pu influer en quoi que ce soit.

Un fait non moins curieux et qui prouve que les communications ne sont pas le reflet de la pensée, c'est celle de Bernard, à laquelle aucun des assistants ne pouvait songer, car dès que le médium eut pris le crayon, on pensait que ce serait probablement l'un de ses Esprits habituels, Baluze ou Sonnet ; on se demanderait, dans ce cas, de la pensée de qui cette communication aurait pu être le reflet.


Discours de M. Allan Kardec sur la tombe de M. Sanson.

Messieurs et chers collègues de la Société spirite de Paris,

C'est la première fois que nous conduisons un de nos collègues à sa dernière demeure. Celui à qui nous venons dire adieu, vous le connaissiez, et vous avez su apprécier ses éminentes qualités. En les rappelant ici, je ne ferai que vous dire ce que vous connaissez tous : cœur éminemment droit, d'une loyauté à toute épreuve, sa vie a été celle d'un honnête homme dans toute l'acception du mot ; personne, je pense, ne protestera contre cette assertion. Ces qualités étaient encore rehaussées chez lui par une grande bonté et une extrême bienveillance. Qu'est-il besoin, avec cela, d'avoir fait des actions d'éclat et de laisser un nom à la postérité ? Il n'en aurait certes pas une meilleure place dans le monde où il est maintenant. Si donc nous n'avons pas à jeter sur sa tombe des couronnes de laurier, tous ceux qui l'ont connu y déposent, dans la sincérité de leur âme, celles plus précieuses encore de l'estime et de l'affection.

M. Sanson, vous le savez, messieurs, était doué d'une intelligence peu commune et d'une grande justesse d'appréciation, qu'une instruction à la fois variée et profonde avait encore développées. D'une simplicité patriarcale dans sa manière de vivre, il puisait, dans les ressources de son propre esprit, les éléments d'une incessante activité intellectuelle qu'il appliquait à des recherches, à des inventions, fort ingénieuses sans doute, mais qui, malheureusement, n'ont amené pour lui aucun résultat. C'était un de ces hommes qui ne s'ennuient jamais, parce qu'ils pensent toujours à quelque chose de sérieux. Quoique privé, par sa position, de ce qui fait les douceurs de la vie, sa bonne humeur n'en était jamais altérée ; je ne crois rien exagérer en disant qu'il était le type du vrai philosophe ; non du philosophe cynique, mais de celui qui est toujours content de ce qu'il a, sans se tourmenter jamais de ce qu'il n'a pas.

Ces sentiments étaient sans doute le fond de son caractère, mais ils ont été, dans ces dernières années, singulièrement fortifiés par ses croyances spirites ; elles l'ont aidé à supporter de longues et cruelles souffrances avec une patience, une résignation toutes chrétiennes ; il n'est pas un de ceux d'entre nous qui, l'ayant été voir sur son lit de douleur, n'ait été édifié de son calme et de son inaltérable sérénité. Depuis longtemps il prévoyait sa fin, mais, loin de s'en effrayer, il l'attendait comme l'heure de la délivrance. Ah ! c'est que la foi spirite donne, dans ces moments suprêmes, une force dont peut seul se rendre compte celui qui la possède, et cette foi, M. Sanson la possédait au suprême degré.

Qu'est-ce donc que la foi spirite ? demanderont peut-être quelques-uns de ceux qui m'écoutent. - La foi spirite consiste dans la conviction intime que nous avons une âme ; que cette âme, ou Esprit, ce qui est la même chose, survit au corps ; qu'elle est heureuse ou malheureuse, selon le bien ou le mal qu'elle a fait pendant sa vie. Ceci est connu de tout le monde, dira-t-on. Oui, excepté de ceux qui croient que tout est fini pour nous quand nous sommes morts, et il y en a plus qu'on ne pense dans ce siècle-ci. Ainsi, selon eux, cette dépouille mortelle que nous avons sous les yeux, qui, dans quelques jours sera réduite en poussière, serait tout ce qui resterait de celui que nous regrettons ; ainsi, nous viendrions rendre hommage à quoi ? à un cadavre ; car de son intelligence, de sa pensée, des qualités qui le faisaient aimer, il ne resterait rien, tout serait anéanti, et il en serait ainsi de nous quand nous mourrons ! Cette idée du néant qui nous attendrait tous n'a-t-elle pas quelque chose de poignant, de glacial ?

Quel est celui qui, en présence de cette tombe entr'ouverte, ne sent le frisson courir dans ses veines, à la pensée que demain, peut-être, il en sera de même de lui, et qu'après quelques pelletées de terre jetées sur son corps, tout sera à jamais fini, qu'il ne pensera plus, ne sentira plus, n'aimera plus ? Mais à côté de ceux qui nient, il y a le nombre bien plus grand encore de ceux qui doutent, parce qu'ils n'ont pas de certitude positive, et pour qui le doute est une torture.

Vous tous qui croyez fermement que M. Sanson avait une âme, que pensez-vous que soit devenue cette âme ? où est-elle ? que fait-elle ? Ah ! direz-vous, si nous pouvions le savoir ! jamais le doute ne serait entré dans notre cœur ; car, sondez bien le fond de votre pensée, et convenez qu'il est arrivé à plus d'un d'entre vous de dire dans son for intérieur en parlant de la vie future : Si pourtant cela n'était pas ! Et vous disiez cela, parce que vous ne la compreniez pas ; parce que vous vous en faisiez une idée qui ne pouvait s'allier avec votre raison.

Eh bien ! le Spiritisme vient la faire comprendre, la faire pour ainsi dire toucher au doigt et à l'œil la rendre si palpable, si évidente, qu'il n'est pas plus possible de la nier que de nier la lumière.

Qu'est donc devenue l'âme de notre ami ? Elle est ici, à côté de nous, qui nous écoute, qui pénètre notre pensée, qui juge du sentiment que chacun de nous apporte à cette triste cérémonie. Cette âme n'est point ce que l'on croit vulgairement : une flamme, une étincelle, quelque chose de vague et d'indéfini. Vous ne la verrez point, selon les idées de la superstition, courir la nuit sur la terre comme un feu follet ; non, elle a une forme, un corps comme de son vivant ; mais un corps fluidique, vaporeux, invisible pour nos sens grossiers, et qui cependant peut, dans certains cas, se rendre visible. Pendant la vie, elle avait une seconde enveloppe, lourde, matérielle, destructible ; quand cette enveloppe est usée, qu'elle ne peut plus fonctionner, elle tombe, comme la coque d'un fruit mûr, et l'âme la quitte comme on quitte un vieil habit hors de service. C'est cette enveloppe de l'âme de M. Sanson, c'est ce vieil habit qui le faisait souffrir, qui est au fond de cette fosse : c'est tout ce qu'il y a de lui ; mais il a gardé l'enveloppe éthérée, indestructible, radieuse, celle qui n'est assujettie ni aux maladies ni aux infirmités. C'est ainsi qu'il est parmi nous ; mais ne croyez pas qu'il soit seul ; il y en a des milliers ici dans le même cas qui assistent aux adieux que nous faisons à celui qui part, et qui viennent féliciter le nouvel arrivant parmi eux d'être délivré des misères terrestres. De sorte que si, à ce moment, le voile qui les dérobe à notre vue pouvait être levé, nous verrions toute une foule circuler parmi nous, nous coudoyer, et dans le nombre on verrait M. Sanson, non plus impotent et couché sur son lit de souffrances, mais alerte, ingambe, se transportant sans effort d'un endroit à un autre, avec la rapidité de la pensée, sans être arrêté par aucun obstacle.

Ces âmes ou Esprits constituent le monde invisible au milieu duquel nous vivons sans nous en douter ; de sorte que les parents et les amis que nous avons perdus, sont plus près de nous après leur mort, que si, de leur vivant, ils étaient en pays étranger.

C'est l'existence de ce monde invisible dont le Spiritisme démontre l'évidence par les rapports qu'il est possible d'établir avec lui, et parce qu'on y retrouve ceux que l'on a connus ; ce n'est plus alors une vague espérance : c'est une preuve patente ; or, la preuve du monde invisible est la preuve de la vie future. Cette certitude acquise, les idées changent complètement, car l'importance de la vie terrestre diminue à mesure que grandit celle de la vie à venir. C'est la foi au monde invisible que possédait M. Sanson ; il le voyait, il le comprenait si bien que la mort n'était pour lui qu'un seuil à franchir pour passer d'une vie de douleur et de misère dans une vie bienheureuse.

La sérénité de ses derniers instants était donc à la fois le résultat de sa confiance absolue dans la vie future, qu'il entrevoyait déjà, et d'une conscience irréprochable qui lui disait qu'il n'avait rien à redouter. Cette foi, il l'avait puisée dans le Spiritisme ; car ; il faut bien le dire, avant l'époque où il connut cette science consolante, sans être matérialiste, il avait été sceptique ; mais ses doutes ont cédé devant l'évidence des faits dont il était témoin, et dès lors tout avait changé pour lui. Se plaçant, par la pensée, en dehors de la vie matérielle, il ne la voyait plus que comme un jour malheureux parmi un nombre infini de jours heureux ; et, loin de se plaindre de l'amertume de la vie, il bénissait ses souffrances comme des épreuves qui devaient hâter son avancement.

Cher monsieur Sanson, vous êtes témoin de la sincérité des regrets de tous ceux qui vous ont connu, et dont l'affection vous survit. Au nom de tous mes collègues présents et absents, au nom de tous vos parents et amis, je vous dis adieu, mais non un éternel adieu, ce qui serait un blasphème contre la Providence et une dénégation de la vie future. Nous, Spirites, moins que d'autres nous devons prononcer ce mot.

Au revoir donc, cher monsieur Sanson ; puissiez-vous jouir dans le monde où vous êtes maintenant du bonheur que vous méritez, et venir nous tendre la main quand notre tour viendra d'y entrer.

Permettez-moi, messieurs, de prononcer une courte prière sur cette tombe avant qu'elle ne soit fermée.

« Dieu tout-puissant, que votre miséricorde s'étende sur l'âme de M. Sanson, que vous venez de rappeler à vous. Puissent les épreuves qu'elle a subies sur la terre lui être comptées, et nos prières adoucir et abréger les peines qu'elle peut encore endurer comme Esprit !

« Bons Esprits qui êtes venus la recevoir, et vous surtout son ange gardien, assistez-la pour l'aider à se dépouiller de la matière ; donnez-lui la lumière et la conscience d'elle-même afin de la tirer du trouble qui accompagne le passage de la vie corporelle à la vie spirituelle. Inspirez-lui le repentir des fautes qu'elle a commises, et le désir qu'il lui soit permis de les réparer pour hâter son avancement vers la vie éternelle bienheureuse.

« Ame de M. Sanson, qui venez de rentrer dans le monde des Esprits, vous êtes ici présente parmi nous ; vous nous voyez et nous entendez, car il n'y a de moins entre vous et nous que le corps périssable que vous venez de quitter et qui bientôt sera réduit en poussière.

« Ce corps, instrument de tant de douleurs, est encore là, à côté de vous ; vous le voyez comme le prisonnier voit les chaînes dont il vient d'être délivré. Vous avez quitté la grossière enveloppe sujette aux vicissitudes et à la mort, et vous n'avez conservé que l'enveloppe éthérée, impérissable et inaccessible aux souffrances. Si vous ne vivez plus par le corps, vous vivez de la vie des Esprits, et cette vie est exempte des misères qui affligent l'humanité.

« Vous n'avez plus le voile qui dérobe à nos yeux les splendeurs de la vie future ; vous pourrez désormais contempler de nouvelles merveilles, tandis que nous sommes encore plongés dans les ténèbres.

« Vous allez parcourir l'espace et visiter les mondes en toute liberté, tandis que nous rampons péniblement sur la terre, où nous retient notre corps matériel, semblable pour nous à un lourd fardeau.

« L'horizon de l'infini va se dérouler devant vous, et en présence de tant de grandeur vous comprendrez la vanité de nos désirs terrestres, de nos ambitions mondaines et des joies futiles dont les hommes font leurs délices.

« La mort n'est entre les hommes qu'une séparation matérielle de quelques instants. Du lieu d'exil où nous retient encore la volonté de Dieu, ainsi que les devoirs que nous avons à remplir ici-bas, nous vous suivrons par la pensée jusqu'au moment où il nous sera permis de vous rejoindre comme vous avez rejoint ceux qui vous ont précédé.

« Si nous ne pouvons aller auprès de vous, vous pouvez venir auprès de nous. Venez donc parmi ceux qui vous aiment et que vous avez aimés ; soutenez-les dans les épreuves de la vie ; veillez sur ceux qui vous sont chers ; protégez-les selon votre pouvoir, et adoucissez leurs regrets par la pensée que vous êtes plus heureuse maintenant, et la consolante certitude d'être un jour réunis à vous dans un monde meilleur.

« Puissiez-vous, pour votre bonheur futur, être désormais inaccessible aux ressentiments terrestres ! Pardonnez donc à ceux qui ont pu avoir des torts envers vous, comme ils vous pardonnent ceux que vous avez pu avoir envers eux. » Amen.



Entretiens familiers d'outre-tombe

Le capitaine Nivrac

(Mort le 11 février 1862 - évoqué sur la demande de son ami, le capitaine Blou, membre de la Société. - Médium, M. Leymarie.)

M. Nivrac était un homme nourri de fortes études et d'une intelligence remarquable. M. Blou lui avait inutilement parlé du Spiritisme et offert tous les ouvrages qui traitent de la matière ; il regardait toutes ces choses comme des utopies, et ceux qui y ajoutent foi comme des rêveurs. Le 1° février il se promenait avec un de ses camarades, raillant sur ce sujet, comme d'habitude, lorsque, passant devant la boutique d'un libraire, ils virent en montre la brochure : le Spiritisme à sa plus simple expression. Une bonne inspiration, dit M. Blou, la lui fit acheter, ce qu'il n'aurait probablement pas fait si je me fusse trouvé là. Depuis ce jour, M. le capitaine Nivrac a lu le Livre des Esprits, le Livre des médiums, et quelques numéros de la Revue ; son esprit et son cœur étaient frappés ; loin de railler, il venait me questionner, et s'était fait, près des officiers, un propagateur zélé du Spiritisme, à tel point que, pendant huit jours, la doctrine nouvelle était le sujet de toutes les conversations. Il désirait beaucoup assister à une séance, lorsque la mort est venue le surprendre sans aucune cause apparente de maladie. Le mardi 11 février, étant au bain, il expirait à quatre heures entre les bras du médecin. N'y a-t-il pas là, ajoute M. Blou, le doigt de Dieu, qui a permis que mon ami ouvrît les yeux à la lumière avant sa mort ?

1. Evocation. - R. Je comprends pourquoi vous désirez me parler ; je suis heureux de cette évocation, et je viens à vous avec bonheur, car c'est un ami qui me demande, et rien ne pouvait m'être plus agréable.

Remarque. L'Esprit devance la question qui allait lui être proposée et qui était celle-ci : Quoique nous n'ayons pas l'avantage de vous connaître, nous vous avons prié de venir de la part de votre ami, M. le capitaine Blou, notre collègue, et nous serons charmés de nous entretenir avec vous si vous le voulez bien.

2. Êtes-vous heureux… (L'Esprit ne laisse pas achever la question, qui se termine ainsi : d'avoir connu le Spiritisme avant de mourir ?) - R. Je suis heureux, parce que j'ai cru avant de mourir. Je me rappelle les discussions que j'ai eues avec toi, mon ami, car je repoussais toutes les doctrines nouvelles. A vrai dire, j'étais ébranlé : je disais à ma femme, à ma famille, que c'était folie que d'écouter de pareilles sornettes, et je te croyais toqué, je le pensais ; mais heureusement j'ai pu croire et espérer, et ma position est plus heureuse, car Dieu me promet un avancement bien désiré.

3. Comment une petite brochure de quelques pages a-t-elle eu plus d'empire sur vous que les paroles de votre ami, en qui vous deviez avoir confiance ? - R. J'étais ébranlé, parce que l'idée d'une vie meilleure est dans le fond de toutes les incarnations. Je croyais instinctivement, mais les idées du soldat avaient modifié mes pensées ; voilà tout. Lorsque j'ai lu la brochure, je me suis senti ému ; j'ai trouvé cet énoncé d'une doctrine si clair, si précis, que Dieu m'est apparu dans sa bonté ; l'avenir m'a semblé moins sombre. J'ai cru, parce que je devais croire et que la brochure était selon mon cœur.

4. De quoi êtes-vous mort ? - R. Je suis mort d'un ébranlement cérébral. On a donné plusieurs raisons ; c'était un épanchement au cerveau. Le temps était marqué et il m'a fallu partir.

5. Pourriez-vous nous décrire vos sensations au moment de votre mort et après votre réveil ? - R. Le passage de la vie à la mort est une sensation douloureuse, mais prompte ; on pressent tout ce qui peut arriver ; toute la vie se présente spontanément comme un mirage, et l'on voudrait ressaisir tout son passé pour purifier les mauvais jours, et cette pensée vous suit dans la transition spontanée de la vie à la mort, qui n'est qu'une autre vie. On est comme étourdi de la lumière nouvelle, et je suis resté dans une confusion d'idées assez singulière. Je n'étais pas un Esprit parfait ; néanmoins j'ai pu me rendre compte, et je remercie Dieu de m'avoir éclairé avant de mourir.

Remarque. Ce tableau du passage de la vie à la mort a une analogie frappante avec celui qu'en donne M. Sanson. Nous faisons observer que ce n'était point le même médium.

6. Votre situation actuelle serait-elle différente si vous n'aviez pas connu et accepté les idées spirites ? - R. Sans doute ; mais j'étais une bonne et franche nature, et, quoique je ne sois pas extrêmement avancé, il n'en est pas moins vrai que Dieu récompense toute bonne décision, quand même c'est la dernière.

7. Il est inutile de vous demander si… (L'Esprit ne laisse pas achever la question, qui est ainsi conçue : vous allez voir votre femme et votre fille, mais vous ne pouvez vous en faire entendre ; voulez-vous que nous leur transmettions quelque chose de votre part ?) - R. Sans doute, toujours près d'elle ; je l'encourage à la patience et je lui dis : Courage, amie, séchez vos larmes et souriez à Dieu qui vous fortifiera. Pensez que mon existence est un avancement, une purification, et que j'ai besoin de vos prières pour m'aider. Je désire de toutes mes forces une incarnation nouvelle, et, quoique la séparation terrestre soit cruelle, souvenez-vous, vous que j'aime, que vous êtes seule et avez besoin de toute votre santé, de toute votre résignation pour vous soutenir ; mais je serai près de vous pour vous encourager, vous bénir et vous aimer.

8. Nous sommes certains que vos camarades du régiment seraient très heureux d'avoir de vous quelques paroles. A cette question j'en ajoute une autre qui, peut-être, trouvera place dans votre allocution. Jusqu'ici le Spiritisme ne s'est guère propagé dans l'armée que parmi les officiers. Pensez-vous qu'il serait utile qu'il le fût aussi parmi les soldats, et quel en serait le résultat ? - R. Il faut bien que la tête devienne sérieuse pour que le corps la suive, et je comprends que les officiers aient accepté les premiers ces solutions philosophiques et sensées que donne le Livre des Esprits. Par ces lectures, l'officier comprend mieux son devoir ; il devient plus sérieux, moins sujet à se moquer de la tranquillité des familles ; il s'habitue à l'ordre dans son intérieur, et le boire et le manger ne sont plus les premiers mobiles de la vie. Par eux, les sous-officiers apprendront et propageront ; ils sauront pouvoir s'ils le veulent. Je leur dis : en avant ! et toujours en avant ! C'est un nouveau champ de bataille de l'humanité ; seulement pas de blessures, pas de mitraille, mais partout l'harmonie, l'amour et le devoir. Et le soldat sera un homme devenu libéral selon la bonne expression ; il aura le courage et la bonne volonté qui font de l'ouvrier un bon citoyen, un homme selon Dieu.

Suivez donc la nouvelle direction ; soyez apôtres selon Dieu, et adressez-vous à l'infatigable propagateur de la doctrine, l'auteur du petit livre qui m'a éclairé.

Remarque. Au sujet de l'influence du Spiritisme sur le soldat, la communication suivante a été dictée dans une autre occasion :

Le soldat devenu Spirite sera plus facile à gouverner, plus soumis, plus discipliné, parce que la soumission sera pour lui un devoir sanctionné par la raison, tandis qu'elle n'est, le plus souvent, que le résultat de la contrainte ; ils ne s'abrutiront plus dans les excès qui, trop souvent, engendrent les séditions et les portent à méconnaître l'autorité. Il en est de même de tous les subordonnés, à quelque classe qu'ils appartiennent : ouvriers, employés et autres ; ils s'acquitteront plus consciencieusement de leur tâche quand ils se rendront compte de la cause qui les a placés dans cette position sur la terre, et de la récompense qui attend les humbles dans l'autre vie. Malheureusement bien peu croient à l'autre vie, et c'est ce qui fait qu'ils donnent tout à la vie présente. Si l'incrédulité est une plaie sociale, c'est surtout dans les rangs inférieurs de la société, où il n'y a pas le contrepoids de l'éducation et la crainte de l'opinion. Quand ceux qui sont appelés à exercer une autorité, à quelque titre que ce soit, comprendront ce qu'ils gagneraient à avoir des subordonnés imbus des idées spirites, ils feront tous leurs efforts pour les pousser dans cette voie. Mais patience ! cela viendra.

Lespinasse.



Une passion d'outre-tombe.

Maximilien V…, enfant de douze ans suicidé par amour.

On lit dans le Siècle du 13 janvier 1862 :

« Maximilien V…, jeune garçon de douze ans, demeurait chez ses parents, rue des Cordiers, et était employé comme apprenti chez un tapissier. Cet enfant avait l'habitude de lire des romans feuilletons. Tous les moments qu'il pouvait dérober au travail, il les donnait à cette lecture, qui lui surexcitait l'imagination et lui inspirait des idées au-dessus de son âge. C'est ainsi qu'il vint à se figurer qu'il éprouvait une passion pour une personne qu'il avait quelquefois occasion de voir, et qui était loin de se douter qu'elle avait fait naître un pareil sentiment. Désespérant de voir se réaliser les rêves que lui faisaient faire ses lectures, il résolut de se donner la mort. Hier, le concierge de la maison où il était occupé l'a trouvé sans vie dans un cabinet au troisième étage, où il travaillait seul. Il s'était pendu à une corde qu'il avait attachée au moyen d'un fort clou à une poutre. »

Les circonstances de cette mort, à un âge si peu avancé, ont fait penser que l'évocation de cet enfant pourrait fournir un utile sujet d'instruction. Elle a été faite dans la séance de la Société du 24 janvier dernier (médium M. E. Vézy).

Il y a dans ce fait un problème moral difficile, sinon impossible à résoudre par les arguments de philosophie ordinaire, et encore moins de la philosophie matérialiste. On croit tout avoir expliqué en disant que c'était un enfant précoce. Mais ceci n'explique rien ; c'est absolument comme si l'on disait qu'il fait jour, parce que le soleil est levé. D'où vient la précocité ? Pourquoi certains enfants devancent-ils l'âge normal pour le développement des passions et de l'intelligence ? C'est là une de ces difficultés contre lesquelles toutes les philosophies viennent se heurter, parce que leurs solutions laissent toujours une question irrésolue et qu'on peut toujours demander le pourquoi du parce que. Admettez la préexistence de l'âme et le développement antérieur, et tout s'explique de la manière la plus naturelle. Avec ce principe vous remontez à la cause et à la source de tout.

1. (Au guide spirituel du médium.) Voudriez-vous nous dire si nous pouvons évoquer l'Esprit de l'enfant dont il vient d'être question ? - R. Oui ; je le conduirai, car il est souffrant. Que son apparition parmi vous serve d'exemple et soit une leçon.

2. (A Maximilien.) Vous rendez-vous bien compte de votre situation ? - R. Je ne sais encore bien définir où je suis ; j'ai comme un voile sombre devant moi ; je parle et je ne sais comment on m'entend et comment je parle. Cependant ce qui était obscur encore tout à l'heure, je le vois ; je souffrais, et depuis une seconde je me sens soulagé.

3. Vous rappelez-vous bien les circonstances de votre mort ? - R. Elles me semblent bien vagues ; je sais que je me suicidais sans cause. Pourtant, poète dans une autre incarnation, j'avais comme une intuition de ma vie passée ; je me créais des rêves, des chimères ; enfin j'aimais.

4. Comment avez-vous pu être conduit à cette extrémité ? - R. Je viens de répondre.

5. Il est singulier qu'un enfant de douze ans soit conduit au suicide, surtout pour un motif comme celui qui vous y a poussé ? - R. Vous êtes étranges ! Ne vous ai-je point dit que, poète dans une autre incarnation, mes facultés étaient restées plus larges et plus développées que chez un autre ? Oh ! encore dans la nuit où je suis à cette heure, je vois passer cette sylphide de mes rêves sur terre, et c'est là la peine que Dieu m'inflige de la voir belle et légère toujours, passer devant moi, ivre de folie et d'amour, je veux m'élancer… mais hélas ! je suis comme rivé à un anneau de fer… J'appelle… mais c'est est en vain ; elle ne retourne même pas la tête… Oh ! alors que je souffre !

6. Pouvez-vous vous rendre compte de la sensation que vous avez éprouvée quand vous vous êtes reconnu dans le monde des Esprits ? - R. Oh ! oui ; maintenant que je suis en rapport avec vous. Mon corps restait là, inerte et froid, et moi je planais autour ; je pleurais des larmes chaudes. Vous êtes étonnés, vous, des pleurs d'une âme. Ah ! qu'elles sont chaudes et brûlantes ! Oui je pleurais, je venais de reconnaître l'énormité de ma faute et la grandeur de Dieu !… Et pourtant, j'étais incertain de ma mort ; je croyais que mes yeux allaient s'ouvrir… Elvire ! demandais-je !… je croyais la revoir… Ah ! c'est que je l'aime depuis longtemps ; je l'aimerai toujours… Que m'importe si je dois souffrir l'éternité, si je puis la posséder un jour dans une autre incarnation !

7. Quel effet cela vous fait-il de vous trouver ici ? - R. Cela me fait du bien et du mal tout à la fois. Du bien, parce que je sais que vous compatissez tous à ma souffrance ; du mal, parce que, malgré toute l'envie que j'ai de vous faire plaisir en acceptant vos prières, je ne le puis, car il me faudrait alors marcher dans une autre voie que celle de mes rêves.

8. Que pouvons-nous faire qui vous soit utile ? - R. Prier ; car la prière est la rosée divine qui nous rafraîchit le cœur, à nous autres pauvres âmes en peine et souffrantes. Prier ; et pourtant il me semble que si vous m'arrachiez du cœur mon amour pour le remplacer par l'amour divin ; eh bien !… je ne sais pas… je crois !… Tenez ; en ce moment je pleure… eh bien !… eh bien !… priez pour moi !

9. (Au guide du médium.) Quel est le degré de punition de cet Esprit pour s'être suicidé ? Son action, en raison de son âge, est-elle aussi coupable que celle des autres suicidés ? - R. La punition sera terrible, car il a été plus coupable qu'un autre ; il possédait déjà de grandes facultés : le pouvoir d'aimer Dieu d'une manière puissante et de faire le bien. Si les suicidés subissent de longs châtiments, Dieu punit encore davantage ceux qui se tuent avec de larges pensées au front et dans le cœur.

10. Vous avez dit que la punition de Maximilien V… sera terrible ; pourriez-vous nous dire en quoi elle consistera ? Il paraît qu'elle commence déjà. Est-ce qu'il lui est réservé plus que ce qu'il éprouve ? - R. Sans doute, puisqu'il souffre d'un feu qui le consume et le dévore, lequel ne doit cesser que sous les efforts de la prière et du repentir.

Remarque. Il souffre d'un feu qui le consume et le dévore ; n'est-ce pas là la figure du feu de l'enfer qu'on nous présente comme un feu matériel ?

11. Y a-t-il pour lui possibilité d'atténuer sa punition ? - R. Oui, en priant pour lui ; et surtout Maximilien s'unissant à vos prières.

12. L'objet de sa passion partage-t-il ses sentiments ? Ces deux êtres sont-ils destinés à être réunis un jour ? Quelles sont les conditions de leur réunion, et quels obstacles s'y opposent maintenant ? - R. Est-ce que les poètes aiment les femmes de la terre ? Ils le croient un jour, une heure ; ce qu'ils aiment, c'est l'idéal, une chimère créée par leur imagination ardente ; amour qui ne peut être comblé que par Dieu. Les poètes ont tous une fiction dans le cœur, beauté idéale qu'ils croient voir passer sur la terre ; quand ils rencontrent une belle enfant qu'ils ne doivent jamais posséder, alors ils disent que la réalité a fait place au rêve ; mais qu'ils touchent à la réalité, ils tombent des régions éthérées dans la matière et ne reconnaissant plus l'être qu'ils ont rêvé, ils se créent d'autres chimères.

13. (A Maximilien.) Nous désirons vous adresser encore quelques questions, qui peut-être aideront à votre soulagement. A quelle époque viviez-vous comme poète ? Aviez-vous un nom connu ? - R. Sous le règne de Louis XV. J'étais pauvre et inconnu ; j'aimais une femme, un ange que je vis passer dans un parc un jour de printemps ; depuis, je ne la revis que dans mes rêves, et mes songes me promettaient de me la faire posséder un jour.

14. Le nom d'Elvire nous paraît bien romanesque, ce qui pourrait nous faire penser qu'il ne s'agissait que d'un être imaginaire ? - R. Mais oui, c'était une femme ; je sais son nom parce qu'un cavalier qui passait près d'elle la nomma Elvire ! Ah ! que c'était bien la femme que mon imagination avait rêvée ! je la revois encore, toujours belle et enivrante ; elle est capable de me faire oublier Dieu pour la voir et la suivre encore.

15. Vous souffrez et vous pourrez souffrir encore longtemps ; il dépend de vous d'abréger vos tourments. - R. Que me fait à moi de souffrir ! Vous ne savez donc pas ce que c'est qu'un désir inassouvi ! Est-ce que mes désirs sont charnels, à moi ? Et pourtant ils me brûlent, et les battements de mon cœur, en songeant à elle, sont plus forts que ce qu'ils seraient en pensant à Dieu.

16. Nous vous plaignons sincèrement. Pour travailler à votre avancement, il faut vous rendre utile et penser à Dieu plus que vous ne le faites ; il faut demander une réincarnation en vue seule de réparer les torts et l'inutilité de vos dernières existences. On ne vous dit pas d'oublier Elvire, mais de penser un peu moins exclusivement à elle et un peu plus à Dieu, qui peut abréger vos tourments si vous faites ce qu'il faut. Nous soutiendrons vos efforts par nos prières. - R. Merci ! priez et tâchez de m'arracher Elvire du cœur ; peut-être vous en remercierai-je un jour !


Causes d'incrédulité

Monsieur Allan Kardec,

J'ai lu avec beaucoup de défiance, je dirai même avec le sentiment de l'incrédulité, vos premières publications traitant du Spiritisme ; plus tard, je les ai relues avec infiniment d'attention, ainsi que vos autres publications, à mesure qu'elles ont paru. J'appartenais, je dois le dire sans préambule, à l'école matérialiste ; la raison, la voici : c'est que de toutes les sectes philosophiques ou religieuses, c'était la plus tolérante, la seule qui ne se fût pas livrée à des levées de boucliers pour la défense d'un Dieu qui a dit par la bouche du Maître : « Les hommes prouveront qu'ils sont mes disciples en s'aimant les uns les autres ». Ensuite, c'est que la plupart des guides que la société se donne pour inculquer aux jeunes esprits les idées de morale et de religion, paraissent plutôt destinés à jeter l'effroi dans les âmes, qu'à leur apprendre à bien se conduire, à attendre une récompense à leurs peines, un dédommagement à leur affliction. Aussi les matérialistes de toutes les époques, et principalement les philosophes du siècle dernier, dont la plupart ont illustré les arts et les sciences, ont augmenté le nombre de leurs prosélytes, à mesure que l'instruction a émancipé les individus : on a préféré le néant aux tourments éternels.

Il est dans l'ordre que le malheureux compare ; la comparaison lui étant désavantageuse, il doute de tout. Et en effet, quand on voit le vice dans l'opulence et la vertu dans la misère, si l'on n'a pas une doctrine raisonnée et prouvée par les faits, le désespoir s'empare de l'âme, on se demande ce que l'on gagne à être vertueux, et l'on attribue les scrupules de la conscience aux préjugés et aux erreurs d'une première éducation.

Ignorant l'usage que vous ferez de ma lettre, et vous laissant sur ce point une liberté entière, je crois qu'il ne sera pas inutile de faire connaître ici les causes qui ont opéré ma conversion.

J'avais vaguement entendu parler du magnétisme ; les uns le considérant comme une chose sérieuse et réelle, les autres le traitant de niaiserie : je ne m'y arrêtai donc pas. Plus tard, j'entendis de tous côtés parler de tables tournantes, de tables parlantes, etc. ; mais chacun tenait sur ce sujet le même langage que sur le magnétisme, ce qui fit que je ne m'y intéressai pas davantage. Cependant, par une circonstance entièrement imprévue, j'eus à ma disposition le Traité de magnétisme et de somnambulisme de M. Aubin Gauthier. Je lus cet ouvrage avec une disposition d'esprit constamment en rébellion contre son contenu, tellement ce qui y est expliqué me paraissait extraordinaire, impossible ; mais arrivé à cette page où cet honnête homme dit : « Nous ne voulons pas qu'on nous croie sur parole ; que l'on essaye d'après les principes que nous indiquons, et si l'on reconnaît que ce que nous avançons est vrai, tout ce que nous demandons, c'est que l'on soit de bonne foi, et que l'on en convienne. »

Ce langage d'une certitude raisonnée, que l'homme pratique seul peut tenir, arrêta toute mon effervescence, soumit mon esprit à la réflexion, et le détermina à des essais. J'opérai d'abord sur un enfant de mes parents, âgé d'environ seize ans, et je réussis au-delà de toutes mes espérances ; vous dire le trouble qui se fit en moi, serait difficile ; je me défiais de moi-même et me demandais si je n'étais pas dupe de cet enfant qui, ayant deviné mes intentions, se livrait aux singeries d'une simulation pour ensuite me railler. Pour m'en assurer, je pris certaines précautions indiquées et fis venir immédiatement un magnétiseur ; j'acquis alors la certitude que l'enfant était réellement sous l'influence magnétique. Ce premier essai m'enhardit si bien, que je me livrai à cette science, dont j'eus occasion d'observer tous les phénomènes, en même temps que je pus constater l'existence de l'agent invisible qui les produisait.

Quel est donc cet agent ? qui le dirige ? quelle est son essence ? pourquoi n'est-il pas visible ? Ce sont des questions auxquelles il m'est impossible de répondre, mais qui m'ont conduit à lire ce qui a été écrit pour et contre les tables parlantes, parce que je me suis dit que si un agent invisible pouvait produire les effets dont j'étais témoin, un autre agent, ou peut-être le même, pouvait bien en produire d'autres ; d'où je conclus que la chose était possible, et aujourd'hui j'y crois, quoique je n'aie encore rien vu.

Toutes ces choses sont, par leurs effets, tout aussi surprenantes que le Spiritisme, que les critiques, du reste, n'ont que très faiblement combattu, et de manière à ne déplacer aucune conviction. Mais ce qui le caractérise bien autrement que les effets matériels, ce sont les effets moraux. Il demeure évident pour moi que tout homme qui s'en occupera sérieusement, s'il est bon, deviendra meilleur ; s'il est méchant, il modifiera forcément son caractère. Autrefois l'espérance n'était qu'une corde à laquelle se pendaient les malheureux ; avec le Spiritisme, l'espérance est une consolation, les souffrances une expiation, et l'Esprit, au lieu de se mettre en rébellion contre les décrets de la Providence, supporte patiemment ses misères, ne maudit ni Dieu ni les hommes, et marche toujours vers sa perfection. Si j'eusse été nourri dans ces idées, je n'aurais certainement point passé par l'école du matérialisme, dont je suis trop heureux d'être sorti maintenant.

Vous voyez, monsieur, que quelque rudes qu'aient été les combats auxquels je me suis livré, ma conversion est opérée, et vous êtes un de ceux qui y ont le plus contribué. Enregistrez-la sur vos tablettes, car ce ne sera pas une des moindres, et veuillez désormais me compter au nombre de vos adeptes.

Gauzy,

Ancien officier, 23, rue Saint-Louis, à Batignolles (Paris).



Remarque. - Cette conversion est un exemple de plus de la cause la plus ordinaire de l'incrédulité. Tant qu'on donnera comme vérités absolues des choses que la raison repousse, on fera des incrédules et des matérialistes. Pour faire croire, il faut faire comprendre ; notre siècle le veut ainsi, et il faut marcher avec le siècle si l'on ne veut pas succomber ; mais pour faire comprendre, il faut que tout soit logique : principes et conséquences. M. Gauzy émet une grande vérité en disant que l'homme préfère l'idée du néant qui met fin à ses peines, à la perspective de tortures sans fin, auxquelles il est si difficile d'échapper ; aussi cherche-t-il à jouir le plus possible tant qu'il est sur la terre. Demandez à un homme qui souffre beaucoup ce qu'il préfère : mourir de suite ou vivre cinquante ans dans la douleur : son choix ne sera pas douteux. Qui veut trop prouver, ne prouve rien ; à force d'exagérer les peines, on finit par n'y plus faire croire ; et nous sommes certain d'avoir bien des gens de notre avis en disant que la doctrine du diable et des peines éternelles a fait le plus grand nombre des matérialistes ; que celle d'un Dieu qui crée des êtres pour en livrer l'immense majorité aux tortures sans espérance, pour des fautes temporaires, a fait le plus grand nombre des athées.



Réponse d'une dame à un ecclésiastique sur le Spiritisme

On nous mande de Bordeaux qu'un ecclésiastique de cette ville écrivit, le 8 janvier dernier, la lettre suivante à une dame très âgée et très malade. Nous sommes formellement autorisé à publier cette lettre, ainsi que la réponse qui y a été faite :


« Madame,

« Je regrette de n'avoir pu hier vous entretenir en particulier de certaines pratiques religieuses contraires à l'enseignement de la sainte Église. On a parlé beaucoup à ce sujet de votre famille, même à un cercle. Je serais heureux, madame, d'apprendre que vous n'avez que du mépris pour ces superstitions diaboliques, et que vous êtes toujours sincèrement attachée aux dogmes invariables de la religion catholique.

« J'ai l'honneur, etc.

« X… »


Response,
« Mon cher monsieur l'abbé,

« Ma mère étant trop souffrante pour répondre elle-même à votre bienveillante lettre du 8 courant, je m'empresse de le faire pour elle et de sa part, afin de rassurer votre sollicitude sur les dangers qu'elle et sa famille peuvent courir.

« Il ne se passe chez moi, cher monsieur, aucune pratique religieuse qui puisse inquiéter les catholiques les plus fervents, à moins que le respect et la prière pour les morts, la foi en l'immortalité de l'âme, une confiance illimitée dans l'amour et la bonté de Dieu, une observance aussi rigide que le permet la nature humaine des saintes doctrines du Christ, ne soient des pratiques réprouvées par la sainte Église catholique.

« Quant à ce qu'on peut dire de ma famille, même dans un cercle, je suis tranquille : on ne dira ni là ni ailleurs qu'aucun de nous ait jamais rien fait dont il ait à rougir ou à se cacher, et je ne rougis ni ne me cache d'admettre les développements et la clarté que les manifestations spirites répandent pour moi et pour bien d'autres sur ce qu'il y avait d'obscur, au point de vue de mon intelligence, dans tout ce qui paraissait sortir des lois de la nature. Je dois à ces superstitions diaboliques de croire avec sincérité, avec reconnaissance, à tous les miracles que l'Eglise nous donne comme articles de foi, et que, jusqu'à présent, j'avais regardés comme des symboles, ou plutôt, l'avouerai-je, comme des rêveries. Je leur dois une quiétude d'âme que jusqu'alors je n'avais pu obtenir, quels qu'eussent été mes efforts ; je leur dois la foi, la foi sans bornes, sans réflexions, sans commentaires, la foi enfin telle que la sainte Eglise la commande à ses enfants, telle que le Seigneur doit l'exiger de ses créatures, telle que notre divin Sauveur l'a prêchée de parole et d'exemple.

« Rassurez-vous donc, bien cher monsieur, le bon Pasteur a rallié autour de lui des brebis indifférentes qui le suivaient machinalement par habitude et qui, maintenant, le suivent et le suivront toujours avec amour et reconnaissance. Le divin Maître a pardonné à saint Thomas de n'avoir cru qu'après avoir vu ; eh bien ! il vient encore aujourd'hui, faire toucher aux incrédules son côté et ses mains, et c'est avec un amour sans nom que ceux qui doutaient se rapprochent pour embrasser ses pieds saignants, et remercier ce père bon et miséricordieux de permettre à ces vérités immuables de se rendre palpables pour affermir les faibles et éclairer les aveugles qui se refusaient quand même à voir la lumière qui brille depuis tant de siècles.

« Permettez-moi maintenant de réhabiliter ma mère aux yeux de la sainte Église. De toute ma famille, mon mari et moi sommes les seuls qui ayons le bonheur de suivre cette voie que chacun est libre de juger à son point de vue. Je m'empresse donc de vous rassurer à cet égard. Quant à moi personnellement, j'ai trouvé trop de force et de consolation dans la certitude palpable que ceux que nous avions aimés, et que nous pleurions sont toujours près de nous, nous prêchant l'amour de Dieu par-dessus tout, l'amour du prochain, la charité sous toutes ses faces, l'abnégation, l'oubli des injures, le bien pour le mal (ce qui, je crois, ne s'écarte pas des dogmes de l'Église), que, quoi qu'il puisse arriver ici-bas, je m'en tiens à ce que je sais, à ce que j'ai vu, priant Dieu de vouloir envoyer ses consolations à ceux qui, comme moi, n'osaient pas réfléchir aux mystères de la religion, dans la crainte que cette pauvre raison humaine, qui ne veut admettre que ce qu'elle comprend, détruisît les croyances que l'habitude me donnait l'air d'avoir.

« Je remercie donc le Seigneur, dont la bonté et la puissance incontestables permettent aux anges et aux saints de faire maintenant visiblement, pour sauver les hommes du doute et de la négation, ce qu'il avait permis au démon de faire pour les perdre depuis la création du monde. Tout est possible à Dieu, même les miracles ; aujourd'hui je le reconnais avec bonheur et confiance.

« Veuillez, cher monsieur l'abbé, recevoir mes sincères remerciements pour l'intérêt que vous voulez bien nous témoigner, et croire que je fais des vœux ardents pour voir entrer dans tous les cœurs la foi et l'amour que j'ai le bonheur de posséder aujourd'hui.

« Agréez, etc.,

« Émilie Collignon. »



Remarque. - Nous nous dispensons d'aucun commentaire sur cette lettre, que nous laissons à chacun le soin d'apprécier. Nous dirons seulement que nous en connaissons un grand nombre écrites dans le même sens. Le passage suivant de l'une d'elles peut les résumer, sinon pour les termes, du moins pour le sens :

« Quoique née et baptisée dans la religion catholique, apostolique et romaine, depuis trente ans, c'est-à-dire depuis ma première communion, j'avais oublié mes prières et le chemin de l'église ; en un mot, je ne croyais plus à rien qu'à la réalité de la vie présente. Le Spiritisme, par une grâce du ciel, est enfin venu m'ouvrir les yeux ; aujourd'hui les faits ont parlé pour moi ; je crois non seulement à Dieu et à l'âme, mais à la vie future heureuse ou malheureuse ; je crois à un Dieu juste et bon, qui punit les actes mauvais et non les croyances erronées. Comme un muet qui recouvre la parole, je me suis souvenu de mes prières, et je prie, non plus des lèvres et sans comprendre, mais du cœur, avec intelligence, foi et amour. Il y a peu de temps encore, j'aurais cru faire acte de faiblesse en m'approchant des sacrements de l'Église ; aujourd'hui je crois faire un acte d'humilité agréable à Dieu en les recevant. Vous me repoussez même du tribunal de la pénitence ; vous m'imposez avant toutes choses une rétractation formelle de mes croyances spirites ; vous voulez que je renonce à m'entretenir avec l'enfant chéri que j'ai perdu, et qui est venu me dire des paroles si douces et si consolantes ; vous voulez que je déclare que cet enfant que j'ai reconnu comme s'il était là vivant devant moi, c'est le démon ! Non, une mère ne se trompe pas aussi grossièrement. Mais, monsieur l'abbé, ce sont les paroles mêmes de cet enfant qui, m'ayant convaincue de la vie future, me ramènent à l'église ! Comment voulez-vous donc que je croie que c'est le démon ? Si ce devait être là le dernier mot de l'Église, on se demande ce qui adviendra quand tout le monde sera spirite ?

« Vous m'avez signalée du haut de la chaire ; vous m'avez fait montrer au doigt ; vous avez ameuté contre moi une populace fanatique ; vous avez fait retirer à une pauvre femme qui partage mes croyances le travail qui la faisait vivre en lui disant qu'elle aurait des secours si elle cessait de me voir, espérant la prendre par la famine ; franchement, monsieur l'abbé, Jésus-Christ aurait-il fait cela ?

« Vous dites que vous agissez selon votre conscience ; ne craignez pas que j'y fasse violence, mais trouvez bon que j'agisse selon la mienne. Vous me repoussez de l'Église : je n'essayerai pas d'y entrer de force, car partout la prière est agréable à Dieu. Laissez-moi seulement vous faire l'histoire des causes qui depuis si longtemps m'en avaient éloignée ; qui ont fait naître en moi d'abord le doute, et du doute m'ont conduite à nier tout. Si je suis maudite à cette heure, comme vous le prétendez, vous verrez qui doit en porter la responsabilité
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . »

Remarque. - Les réflexions que de semblables choses font naître se résument en deux mots : Fatale imprudence ! fatal aveuglement ! Nous avons eu sous les yeux un manuscrit intitulé : Mémoires d'un incrédule ; c'est une curieuse relation des causes qui conduisent l'homme aux idées matérialistes, et des moyens par lesquels il peut être ramené à la foi. Nous ne savons encore si l'auteur se décidera à le publier.




Le boulanger inhumain. – Suicide

Une correspondance de Crefled, (Prusse rhénane), du 25 janvier 1862, et insérée dans le Constitutionnel du 4 février, contient le fait suivant :

« Une pauvre veuve, mère de trois enfants, entre dans la boutique d'un boulanger et le prie instamment de lui faire crédit d'un pain. Le boulanger refuse. La veuve réduit sa demande à un demi pain, et enfin à une livre de pain seulement pour ses enfants affamés. Le boulanger refuse encore, quitte la place et entre dans l'arrière-boutique ; la femme, croyant n'être pas vue, s'empare d'un pain et s'en va. Mais le vol, immédiatement découvert, est dénoncé à la police.

« Un agent se rend chez la veuve et la surprend qui coupait des morceaux de pain à ses enfants. Elle ne nie pas le vol, mais s'excuse sur la nécessité. L'agent de police tout en blâmant la dureté du boulanger, insiste pour qu'elle le suive au bureau du commissaire.

« La veuve demande seulement quelques instants pour changer de robe. Elle entre dans la chambre à coucher, mais elle y reste assez longtemps pour que l'agent, perdant patience, se décide à ouvrir la porte : la malheureuse était par terre inondée de sang. Avec le même couteau qui venait de couper le pain à ses enfants elle avait mis fin à ses jours. »

Cette notice ayant été lue dans la séance de la Société du 14 février 1862, on avait proposé de faire l'évocation de cette malheureuse femme, lorsqu'elle vint elle-même se manifester spontanément par la communication suivante. Il arrive souvent que des Esprits dont il est question se révèlent de cette manière ; il est incontestable qu'ils sont attirés par la pensée, qui est une sorte d'évocation tacite. Ils savent qu'on s'occupe d'eux, et ils viennent ; ils se communiquent alors si l'occasion leur paraît opportune ou s'ils trouvent un médium à leur convenance. On comprend, d'après cela, qu'il n'est besoin ni d'avoir un médium, ni même d'être Spirite pour attirer les Esprits dont on se préoccupe.

« Dieu a été bon pour la pauvre égarée, et je viens vous remercier pour la sympathie que vous avez bien voulu me témoigner. Hélas ! devant la misère et la faim de mes pauvres petits enfants, je me suis oubliée et j'ai failli. Alors je me suis dit : Puisque tu es impuissante à nourrir tes enfants et que le boulanger refuse le pain à ceux qui ne peuvent le payer ; puisque tu n'as ni argent ni travail, meurs ! parce que lorsque tu ne seras plus là on leur viendra en aide. En effet, aujourd'hui la charité publique a adopté ces pauvres orphelins. Dieu m'a pardonné, car il a vu ma raison chanceler et mon désespoir affreux. J'ai été la victime innocente d'une société mal, trop mal réglée. Ah ! remerciez Dieu, de vous avoir fait naître dans cette belle contrée de France où la charité va chercher et soulager toutes les misères.

« Priez pour moi afin que je puisse bientôt réparer la faute que j'ai commise ; non par lâcheté mais par amour maternel. Que vos Esprits protecteurs sont bons ! ils me consolent, me fortifient, m'encouragent, en me disant que mon sacrifice n'a pas été désagréable au grand Esprit qui, sous l'œil et la main de Dieu, préside aux destinées humaines. »

La pauvre Mary. (Med., M. d'Ambel.)


A la suite de cette communication l'Esprit de Lamennais donne l'appréciation suivante sur le fait en question :

« Cette malheureuse femme est une des victimes de votre monde, de vos lois et de votre société. Dieu juge les âmes, mais aussi il juge les temps et les circonstances ; il juge les choses forcées et le désespoir ; il juge le fond et non la forme ; et j'ose l'affirmer, cette malheureuse est morte non par crime mais par pudeur, par crainte de la honte ; c'est que là où la justice humaine est inexorable, juge et condamne les faits matériels, la justice divine constate le fond du cœur et l'état de la conscience. Il serait à désirer que l'on développât chez certaines natures privilégiées un don qui serait bien utile, non pour les tribunaux, mais pour l'avancement de quelques personnes : ce don est une sorte de somnambulisme de la pensée qui découvre bien souvent des choses cachées, mais que l'homme habitué au courant de la vie néglige et atténue par son manque de foi. Il est certain qu'un médium de ce genre, en examinant cette pauvre femme, eût dit : Cette femme est bénie de Dieu parce qu'elle est malheureuse, et cet homme est maudit parce qu'il lui a refusé du pain. O Dieu ! quand donc tous tes dons seront-ils reconnus et mis en pratique ? Aux yeux de ta justice, celui qui a refusé le pain sera puni, car Christ a dit : Celui qui donne du pain à son prochain le donne à moi-même. »

Lamennais. (Med., M. A. Didier.)




Dissertations Spirites

Aux membres de la Société de Paris partant pour la Russie.

(Société Spirite de Paris, avril 1862. — Médium, M. E. Vézy.)

Nota. Plusieurs personnages de distinction russes étaient venus passer l'hiver à Paris, principalement en vue de compléter leur instruction spirite, et s'étaient, dans ce but, fait recevoir membres de la Société, pour pouvoir assister régulièrement aux séances. Quelques-uns étaient déjà repartis, entre autres le prince Dimitry G…, d'autres étaient à la veille de leur départ. C'est cette circonstance qui a donné lieu à la communication spontanée suivante :

« Allez et enseignez, a dit le Seigneur. C'est à vous, enfants de la grande famille qui se forme, que je m'adresse ce soir. Vous retournez dans votre patrie et dans vos familles ; n'oubliez pas au foyer ce qu'un autre père, le Père céleste, a bien voulu vous communiquer et vous faire connaître. Allez, et surtout que le grain soit toujours prêt à être jeté dans les sillons que vous allez creuser dans cette terre qui n'a point assez de roches dans ses entrailles pour ne pas s'ouvrir sous le soc. Votre patrie est appelée à devenir grande et forte, non seulement par la littérature, la science, le génie et le nombre, mais encore par son amour et son dévouement envers le créateur de toutes choses. Que votre charité devienne donc large et puissante ; ne craignez point de répandre à deux mains autour de vous ; apprenez que la charité ne se fait pas seulement avec l'aumône, mais aussi avec le cœur !… Le cœur, voilà la grande source du bien, la source des effluves qui doivent s'épandre et réchauffer la vie de ceux qui souffrent autour de vous !… Allez et prêchez l'Évangile, nouveaux apôtres de Christ ; Dieu vous a placés haut dans le monde afin que tous puissent vous voir et que vos paroles soient bien entendues. Mais c'est toujours en regardant le ciel et la terre, c'est-à-dire Dieu et l'humanité, que vous arriverez au grand but que vous vous proposez d'atteindre et pour lequel nous vous aidons. Le champ est vaste ; allez donc et semez, afin que bientôt nous puissions aller faire les récoltes.

« Vous pouvez annoncer partout que le grand règne va venir bientôt, règne de félicité et de bonheur pour tous ceux qui auront voulu croire et aimer, car ils y participeront.

« Recevez donc, avant le départ, le dernier conseil que nous vous donnons sous le beau ciel que tout le monde aime, sous le ciel de la France ! Recevez le dernier adieu de ces amis qui vous aideront encore dans le rude sentier que vous allez parcourir là-bas ; pourtant nos mains invisibles vous le rendront plus facile, et si vous savez y mettre de la persévérance, de la volonté et du courage, vous verrez les obstacles tomber sous vos pas.

« Quand on entendra sortir de vos bouches ces mots : “ Tous les hommes sont frères et doivent s'appuyer les uns sur les autres pour marcher, ” que d'étonnements et d'exclamations ! On sourira en vous voyant professer une telle doctrine ; on se dira tout bas : “ Ils disent de belles choses, les grands, mais ne sont-ce point des poteaux qui indiquent les chemins sans les parcourir ? ”

« Montrez, montrez-leur alors que le Spirite, cet apôtre nouveau du Christ, n'est point au milieu du chemin pour indiquer le sentier, mais qu'il s'arme de la hache et du couperet et s'élance au milieu des bois les plus sombres et les plus obscurs pour frayer le chemin et arracher les ronces sous les pas de ceux qui suivent. Oui, les nouveaux disciples de Christ doivent être vigoureux, doivent marcher toujours le jarret solide et la main lourde. Point de barrières devant eux ; toutes doivent tomber sous leurs efforts et leurs coups ; les hautes futaies, les lianes et les ronces se briseront pour laisser voir enfin un peu du ciel !

« C'est alors que là sera la consolation et le bonheur. Quelle récompense pour vous ! Les Esprits bienheureux vous crieront : “ Bravo ! bravo ! ” Enfants, vous serez bientôt des nôtres, et bientôt nous vous appellerons nos frères, car la tâche que vous vous étiez imposée volontairement, vous avez su la remplir ! Dieu a de grandes récompenses pour celui qui vient travailler à son champ ; il donne la récolte à tous ceux qui contribuent au grand travail !

« Allez donc en paix, allez, nous vous bénissons. Que cette bénédiction vous donne du bonheur et vous remplisse de courage ; n'oubliez personne de vos frères de la grande société de France ; tous font des vœux pour vous et votre patrie, que le Spiritisme rendra puissante et forte ; allez ! les bons Esprits vous assistent ! »

Saint Augustin.

Relations amicales entre les vivants et les morts

(Société spirite d'Alger. — Médium, M. B...).

Pourquoi, dans nos conversations avec les Esprits des personnes que nous avons le plus chéries, éprouvons-nous un embarras, une froideur même que nous n'aurions jamais ressentis de leur vivant ?

Réponse. - Parce que vous êtes matériels et que nous ne le sommes plus. Je vais te faire une comparaison qui, comme toutes les comparaisons, ne sera pas absolument exacte ; elle le sera pourtant assez pour ce que je veux dire.

Je suppose que tu éprouves pour une femme une de ces passions que les romanciers seuls imaginent chez vous, et que vous traitez d'exagérées, tandis qu'à nous, elles nous paraissent différer en moins de celles que nous connaissons par toute l'étendue de l'infini.

Je continue de supposer. Après avoir eu, pendant quelque temps, le bonheur ineffable de parler chaque jour avec cette femme et de la contempler à souhait, une circonstance quelconque fait que tu ne peux plus la voir et dois te contenter de l'entendre seulement ; crois-tu que ton amour résisterait sans aucune brèche à une situation de ce genre indéfiniment prolongée ? Avoue qu'il subirait bien quelque modification, ou, ce que nous autres appellerions une diminution.

Allons plus loin. Non seulement tu ne peux plus la voir, cette belle amie, mais tu ne peux même plus l'entendre ; elle est tout à fait séquestrée ; on ne te laisse pas approcher d'elle ; prolonge cet état pendant quelques années et vois ce qui arrivera.

Maintenant un pas de plus. Elle est morte, la femme que tu aimais ; elle est depuis longtemps ensevelie dans les ténèbres de la tombe. Nouveau changement en toi. Je ne veux pas dire que la passion soit morte avec son objet, mais je soutiens qu'elle est au moins transformée. Elle l'est tellement que si, par une faveur céleste, la femme que tu regrettes tant et que tu pleures toujours venait à se présenter devant toi, non dans l'odieuse réalité du squelette gisant au cimetière, mais avec la forme que tu aimais et adorais jusqu'à l'extase, es-tu bien sûr que le premier effet de cette apparition imprévue ne serait pas un sentiment de profonde terreur ?

C'est que, vois-tu, mon ami, les passions, les affections vives ne sont possibles dans toute leur étendue qu'entre gens de même nature, entre mondains et mondains, entre Esprits et Esprits. Je ne prétends pas dire par là que toute affection doive s'effacer à la mort ; je veux dire qu'elle change de nature et prend un autre caractère. En un mot, je veux dire que sur votre terre vous conservez un bon souvenir de ceux que vous avez aimés, mais que la matière au milieu de laquelle vous vivez, ne vous permettant pas de comprendre ni de pratiquer autre chose que des amours matériels, et que ce genre d'amour étant nécessairement impossible entre vous et nous, de là vient que vous êtes si gauches et si froids dans vos rapports avec nous. Si tu veux t'en convaincre, relis quelques conversations spirites entre parents, amis ou connaissances ; tu les trouveras d'un glacial à donner froid aux habitants des pôles.

Nous ne vous en voulons pas, nous ne nous en attristons même pas, quand toutefois nous sommes suffisamment élevés dans la hiérarchie des Esprits pour nous en rendre compte et comprendre ; mais naturellement ce n'est pas sans avoir aussi quelque influence sur notre manière d'être avec vous.

Te souviens-tu de l'histoire d'Hanifa qui, pouvant se mettre en communication avec sa fille chérie qu'elle a tant pleurée, lui pose cette première question : Y a-t-il un trésor caché dans cette maison ? Aussi quelle bonne mystification elle a eue ! Elle ne l'avait pas volée.

Je pense, mon ami, en avoir dit assez pour que tu sentes bien la cause de la gêne qui existe nécessairement entre vous et nous. J'aurais pu en dire davantage ; par exemple, que nous voyons toutes vos imperfections et impuretés de corps et d'âme, et que, de votre côté ; vous avez la conscience que nous les voyons. Avoue que c'est embarrassant pour les deux parties. Place les deux amants les plus épris dans cette maison de verre où tout apparaît, au moral comme au physique, et demande-toi ce qui en adviendra.

Quant à nous, animés d'un sentiment de charité que vous ne pouvez comprendre, nous sommes, par rapport à vous, comme la bonne mère à qui les infirmités et les souillures de l'enfant criard qui lui ôte le sommeil ne peuvent faire oublier un seul instant les instincts sublimes de la maternité. Nous vous voyons faibles, laids, méchants, et cependant nous vous aimons, parce que nous tâchons de vous améliorer ; mais vous autres, ne vous rendez-vous pas justice en nous craignant plus que vous ne nous aimez.

Désiré Léglise,

Poète algérien, mort en 1851.


Les deux larmes

(Société spirite de Lyon ; groupe Villon. - Médium, madame Bouilland.)

Un Esprit allait quitter forcément la terre, qu'il n'aurait pas dû visiter, car il venait d'une région bien inférieure ; mais il avait demandé à subir une épreuve, et Dieu ne la lui avait pas refusée. Hélas ! l'espérance qu'il avait conçue à son entrée dans le monde terrestre ne s'était pas réalisée, et sa nature abrupte ayant repris le dessus, chacun de ses jours avait été marqué par le plus noir forfait. Pendant longtemps, tous les Esprits gardiens des hommes avaient essayé de le détourner du sentier qu'il suivait, mais, de guerre lasse, ils avaient abandonné ce malheureux à lui-même, craignant presque son contact. Cependant chaque chose a une fin ; tôt ou tard le crime se découvre, et la justice répressive des hommes impose au coupable la peine du talion. Cette fois, ce ne fut pas tête pour tête : ce fut tête pour cent ; et hier cet Esprit, après être resté un demi-siècle sur la terre, allait retourner dans l'espace, pour être jugé par le Juge suprême qui pèse les fautes bien plus inexorablement que vous ne pourriez le faire vous-mêmes.

Vainement les Esprits gardiens étaient revenus avec la condamnation et avaient essayé d'introduire le repentir dans cette âme rebelle ; vainement ils avaient poussé près de lui les Esprits de toute sa famille : chacun aurait voulu pouvoir lui arracher un soupir de regret, ou seulement un signe ; le moment fatal approchait, et rien n'émoussait cette nature bronzée et pour ainsi dire bestiale ; pourtant un seul regret, avant de quitter la vie, aurait pu adoucir les souffrances de ce malheureux, condamné par les hommes à perdre la vie, et par Dieu aux remords incessants, torture affreuse, semblable au vautour rongeant le cœur qui renaît sans cesse.

Pendant que les Esprits travaillaient sans relâche à faire naître en lui au moins une pensée de repentir, un autre Esprit, Esprit charmant, doué d'une sensibilité et d'une tendresse sublimes, voletait autour d'une tête bien chère, tête vivante encore, et lui disait : « Pense à ce malheureux qui va mourir ; parle-moi de lui. » Quand la charité est sympathique, quand deux Esprits s'entendent et n'en font qu'un, la pensée est comme électrique. Bientôt l'Esprit incarné dit à ce messager d'amour : « Mon enfant, tâche d'inspirer un peu de remords à ce misérable qui va mourir ; va, console-le ! » Et en y pensant, en comprenant tout ce que l'infortuné criminel allait avoir de souffrances à endurer pour son expiation, une larme furtive s'échappe des yeux de celui, qui seul, à cette heure matinale, s'éveillait en songeant à cet être impur, qui dans un instant devait rendre ses comptes. Le doux messager recueillit cette larme bienfaisante dans le creux de sa mignonne main, et d'un vol rapide il la porta vers le tabernacle qui renferme de semblables reliques, et fit ainsi sa prière : « Seigneur, un impie va mourir ; vous l'avez condamné, mais vous avez dit : « Je pardonne au remords, j'accorde l'indulgence au repentir. » Voici une larme de vraie charité, qui a traversé du cœur aux yeux de l'être que j'aime le plus au monde. Je vous apporte cette larme : c'est la rançon de la souffrance ; donnez-moi le pouvoir d'attendrir le cœur de roc de l'Esprit qui va expier ses crimes. - Va, lui répondit le Maître ; va, mon enfant ; cette larme bénie peut payer bien des rançons. »

La douce enfant repartit ; elle arriva près du criminel au moment du supplice ; ce qu'elle lui dit, Dieu seul le sait ; ce qui se passa dans cet être égaré, nul ne le comprit, mais, ouvrant ses yeux à la lumière, il vit se dérouler devant lui tout un passé effrayant. Lui, que l'instrument fatal n'avait pas ébranlé ; lui, que la condamnation à mort avait fait sourire, il leva les yeux et une grosse larme, brûlante comme du plomb fondu, tomba de ses yeux. A cette preuve muette qui lui témoignait que sa prière avait été exaucée, l'ange de charité étendit sur le malheureux ses blanches ailes, recueillit cette larme et semblait dire : « Infortuné ! tu souffriras moins : j'emporte ta rédemption. »

Quel contraste peut inspirer la charité du Créateur ! l'être le plus impur sur les derniers degrés de l'échelle, et l'ange le plus chaste qui, près d'entrer dans le monde des élus, vient à un signe étendre sa protection visible sur ce paria de la société ! Dieu bénissait du haut de son puissant tribunal cette scène touchante, et nous tous, nous disions en entourant cette enfant : « Va recevoir ta récompense. » La douce messagère remonta aux cieux, sa larme de lave dans la main, et elle put dire : « Maître, il a pleuré, en voici la preuve ! - C'est bien, répondit le Seigneur ; conservez cette première goutte de rosée du cœur endurci ; que cette larme féconde aille arroser cet Esprit desséché par le mal ; mais gardez surtout la première larme que cette enfant m'a apportée ; que cette goutte d'eau devienne diamant pur, car elle est bien la perle sans tache de la vraie charité. Rapportez cet exemple aux peuples, et dites-leur : « Solidaires les uns des autres, voyez, voici une larme d'amour de l'humanité, et une larme de remords obtenue par la prière, et ces deux larmes seront les pierres les plus précieuses du vaste écrin de la charité. »

Carita


Les deux Voltaire

(Société spirite de Paris ; groupe Faucherand. — Médium, M. E. Vézy).

C'est bien moi, mais non point cet esprit railleur et caustique d'autrefois ; le petit roitelet du dix-huitième siècle, qui commandait par la pensée et le génie à tant de grands souverains, n'a plus aujourd'hui sur les lèvres ce sourire mordant qui faisait trembler ennemis et amis même ! Mon cynisme a disparu devant la révélation des grandes choses que je voulais toucher et que je n'ai sues qu'outre tombe !

Pauvres cerveaux trop étroits pour contenir tant de merveilles ! Humains, taisez-vous, humiliez-vous devant la puissance suprême ; admirez et contemplez, voilà ce que vous pouvez faire. Comment voulez-vous approfondir Dieu et son grand travail ? Malgré toutes ses ressources, votre raison ne se brise-t-elle pas devant l'atome et le grain de sable qu'elle ne peut définir ?

J'ai usé ma vie, moi, à chercher et à connaître Dieu et son principe, ma raison s'y est affaiblie, et j'en étais arrivé, non point à nier Dieu, mais sa gloire, sa puissance et sa grandeur. Je me l'expliquais se développant dans le temps. Une intuition céleste me disait de rejeter cette erreur, mais je ne l'écoutais pas, et me fis l'apôtre d'une doctrine mensongère… Savez-vous pourquoi ? Parce que, dans le tumulte et le fracas de mes pensées qui s'entrechoquaient sans cesse, je ne voyais qu'une chose : mon nom gravé au fronton du temple de mémoire des nations ! Je ne voyais que la gloire que me promettait cette jeunesse universelle qui m'entourait et semblait goûter avec suavité et délices le suc de la doctrine que je lui enseignais. Pourtant, poussé par je ne savais quel remords de ma conscience, j'ai voulu m'arrêter, usais il était trop tard ; comme toute utopie, tout système qu'on embrasse vous entraîne ; le torrent suit d'abord, puis vous emporte et vous brise, tant sa chute est parfois violente et rapide.

Croyez-moi, vous qui êtes ici à la recherche de la vérité, vous la trouverez quand vous aurez détaché de votre cœur l'amour du clinquant que font briller à vos yeux un sot amour-propre et un sot orgueil. Ne craignez point, dans la nouvelle voie où vous marchez, de combattre l'erreur et de la terrasser quand elle se dressera devant vous. N'est-ce point une monstruosité que de prôner un mensonge contre lequel on n'ose point se défendre, parce que l'on s'est fait des disciples qui vous ont devancés dans vos croyances ?

Vous le voyez, mes amis, le Voltaire d'aujourd'hui n'est plus celui du dix-huitième siècle ; je suis plus chrétien, car je viens ici pour vous faire oublier ma gloire et vous rappeler ce que j'étais pendant ma jeunesse, et ce que j'aimais pendant mon enfance. Oh ! que j'aimais à m'égarer dans le monde de la pensée ! Mon imagination ardente et vive courait les vallées de l'Asie à la suite de celui que vous appelez Rédempteur… J'aimais courir dans les chemins qu'il avait parcourus ; et comme il me semblait grand et sublime ce Christ au milieu de la foule ! Je croyais entendre sa voix puissante, instruisant les peuples de la Galilée, des bords du lac de Tibériade et de la Judée !… Plus tard, dans mes nuits d'insomnie, que de fois me suis-je levé pour ouvrir une vieille Bible et en relire les saintes pages ! Alors mon front s'inclinait devant la croix, ce signe éternel de la rédemption qui unit la terre au ciel, la créature au Créateur !… Que de fois ai-je admiré cette puissance de Dieu, se subdivisant, pour ainsi dire, et dont une étincelle s'incarne pour se faire si petite, venant rendre l'âme sur le Calvaire pour l'expiation !… Victime auguste dont je niais la divinité, et qui me fit dire d'elle pourtant :

Ton Dieu que tu trahis, ton Dieu que tu blasphèmes,

Pour toi, pour l'univers est mort en ces lieux mêmes !

Je souffre, mais j'expie la résistance que j'opposais à Dieu. J'avais pour mission d'instruire et d'éclairer ; je le fis d'abord, mais mon flambeau s'éteignit dans mes mains à l'heure marquée pour la lumière !…

Heureux enfants des dix-neuvième et vingtième siècles, c'est à vous qu'il est donné de le voir luire le flambeau de la vérité ; faites que vos yeux voient bien sa lumière, car pour vous elle aura des rayons célestes et sa clarté sera divine !

Voltaire.

Enfants, j'ai laissé parler à ma place un de vos grands philosophes, principal chef de l'erreur ; j'ai voulu qu'il vînt vous dire où est la lumière ; que vous en semble-t-il ? Tous viendront vous le répéter : Il n'y a point de sagesse sans amour ni charité ; et, dites-moi, quelle doctrine plus suave pour l'enseigner que le Spiritisme ? Je ne saurais trop vous le répéter : l'amour et la charité sont les deux vertus suprêmes qui unissent, comme le dit voltaire, la créature au Créateur. Oh ! quel mystère et quel lien sublime ! vermisseau, ver de terre qui peut devenir tellement puissant, que sa gloire touchera le trône de l'Éternel !…


Saint Augustin.




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