La responsabilité morale
Société de Paris, 9 juillet 1867. Méd. M. Nivard.
J'assiste à toutes tes causeries mentales, mais sans les diriger : tes
pensées sont émises en ma présence, mais je ne les provoque pas. C'est
le pressentiment des cas qui ont quelque chance de se présenter, qui
fait naître en toi les pensées propres à résoudre les difficultés qu'ils
pourraient te susciter. C'est là le libre arbitre ; c'est l'exercice de
l'Esprit incarné, s'essayant à résoudre des problèmes qu'il se pose
lui-même.
En effet, si les hommes n'avaient que les idées que
les Esprits leur inspirent, ils auraient peu de responsabilité et peu de
mérite ; ils n'auraient que la responsabilité d'avoir écouté de mauvais
conseils, ou le mérite d'avoir suivi les bons. Or, cette responsabilité
et ce mérite seraient évidemment moins grands que s'ils étaient le
résultat de l'entier libre arbitre, c'est-à-dire d'actes accomplis dans
la plénitude de l'exercice des facultés de l'Esprit, qui, dans ce cas,
agit sans aucune sollicitation.
Il résulte de ce que je dis que
très souvent les hommes ont des pensées qui leur sont essentiellement
propres, et que les calculs auxquels ils se livrent, les raisonnements
qu'ils tiennent, les conclusions auxquelles ils aboutissent, sont le
résultat de l'exercice intellectuel au même titre que le travail manuel
est le résultat de l'exercice corporel. Il ne faudrait pas conclure de
là, que l'homme n'est pas assisté dans ses pensées et dans ses actes par
les Esprits qui l'entourent, bien au contraire ; les Esprits, soit
bienveillants, soit malveillants, sont souvent la cause provocatrice de
vos actes et de vos pensées ; mais vous ignorez complètement dans
quelles circonstances cette influence se produit, en sorte qu'en
agissant, vous croyez le faire en vertu de votre propre mouvement :
votre libre arbitre reste intact ; il n'y a de différence entre les
actes que vous accomplissez sans y être poussés, et ceux que vous
accomplissez sous l'influence des Esprits, que dans le degré du mérite
ou de la responsabilité.
Dans l'un et l'autre cas, la
responsabilité et le mérite existent, mais, je le répète, ils n'existent
pas au même degré. Ce principe que j'énonce n'a pas, je crois, besoin
de démonstration ; il me suffira, pour le prouver, de prendre une
comparaison dans ce qui existe parmi vous.
Si un homme a commis
un crime, et qu'il l'ait commis, séduit par les conseils dangereux d'un
homme qui exerce sur lui beaucoup d'influence, la justice humaine saura
le reconnaître en lui accordant bénéfice des circonstances atténuantes ;
elle ira plus loin : elle punira l'homme dont les conseils pernicieux
ont provoqué le crime, et sans y avoir autrement contribué, cet homme
sera plus sévèrement puni que celui qui n'a été que l'instrument, parce
que c'est sa pensée qui a conçu le crime, et son influence sur un être
plus faible qui l'a fait exécuter. Eh bien ! ce que font les hommes dans
ce cas, en diminuant la responsabilité du criminel et en la partageant
l'infâme avec qui l'a poussé à commettre le crime, comment voudriez-vous
que Dieu, qui est la justice même, n'en fît pas autant, puisque votre
raison vous dit qu'il est juste d'agir ainsi ?
Pour ce qui
concerne le mérite des bonnes actions, que j'ai dit être moins grand si
l'homme a été sollicité à les faire, c'est la contrepartie de ce que je
viens de dire au sujet de la responsabilité, et peut se démontrer en
renversant la proposition.
Ainsi donc, quand il t'arrive de
réfléchir et de promener tes idées d'un sujet à un autre ; quand tu
discutes mentalement sur les faits que tu prévois ou qui sont déjà
accomplis ; quand tu analyses, quand tu raisonnes et quand tu juges, ne
crois pas que ce soient des Esprits qui te dictent tes pensées ou qui te
dirigent ; ils sont là, près de toi, ils t'écoutent ; ils voient avec
plaisir cet exercice intellectuel auquel tu te livres ; leur plaisir est
doublé, quand ils voient que tes conclusions sont conformes à la
vérité.
Il leur arrive quelquefois, évidemment, de se mêler à
cet exercice, soit pour le faciliter, soit pour donner à l'Esprit
quelques aliments, ou lui créer quelques difficultés, afin de rendre
cette gymnastique intellectuelle plus profitable à celui qui la pratique
; mais, en général, l'homme qui cherche, quand il est livré à ses
réflexions, agit presque toujours seul, sous l'œil vigilant de son
Esprit protecteur, qui intervient si le cas est assez grave pour rendre
son intervention nécessaire.
Ton père qui veille sur toi, et qui est heureux de te voir à peu près rétabli. (Le médium sortait d'une grave maladie.)
Louis Nivard.