REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1867

Allan Kardec

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De l'homéopathie dans le traitement des maladies morales

Voir le n° de mars 1867, page 65

L'article que nous avons publié dans le numéro de mars sur l'action de l'homéopathie dans les maladies morales, nous a valu d'un des plus ardents partisans de ce système, et en même temps l'un des plus fervents adeptes du Spiritisme, le docteur Charles Grégory, la lettre suivante que nous nous faisons un devoir d'insérer, en raison de la lumière que la discussion peut amener dans la question.

« Cher et vénéré maître,

Je vais tâcher de vous expliquer comment je comprends l'action de l'homéopathie sur le développement des facultés morales.

Vous admettez, comme moi, que tout homme, en santé, possède des rudiments de toutes les facultés et de tous les organes cérébraux nécessaires à leur manifestation. Vous admettez aussi que certaines facultés vont toujours se développant, tandis que d'autres, celles qui ne sont sans doute que rudimentaires, après avoir à peine donné quelques lueurs, paraissent s'éteindre tout à fait. Dans le premier cas, selon vous, les organes cérébraux se rapportant aux facultés en plein développement, auraient leur libre manifestation, tandis que ceux qui sont rudimentaires, et qui le plus souvent se rapportent aussi à des aptitudes rudimentaires, s'atrophieraient complètement avec le progrès de l'âge, par manque d'activité vitale.

Si donc, au moyen de médicaments appropriés, j'agis sur les organes imparfaits, si j'y développe un surcroît d'activité vitale, si j'y appelle une nutrition plus puissante, il est bien clair que, augmentant le volume, ils permettront à la faculté rudimentaire de mieux se manifester, et que, par la transmission des idées et des sentiments qu'ils auront puisés, par les sens, dans le monde extérieur, ils imprimeront à la faculté correspondante une influence salutaire et la développeront à son tour ; car tout se lie et se tient chez l'homme ; l'âme influe sur le physique, comme le corps influe sur l'âme. Donc, déjà, par cela même, première influence des médicaments au moyen de l'agrandissement des organes sur les facultés correspondantes de l'âme ; donc, possibilité d'augmenter l'homme par des forces tirées du monde matériel, de l'augmenter, dis-je, en virtualités et en aptitudes.

Maintenant, il ne m'est pas du tout prouvé que nos petites doses arrivées à un état de sublimation et de subtilité qui dépassent toutes les limites, n'aient pas en elles quelque chose de spirituel, en quelque sorte, qui agit à son tour sur l'Esprit. Nos médicaments, donnés à l'état de division que l'art leur fait subir, ne sont plus des substances matérielles, mais bien des forces lui doivent nécessairement, à mon sens du moins, agir sur les facultés de l'âme qui, elles aussi, sont des forces.

Et puis, comme je crois que l'Esprit de l'homme, avant de s'incarner dans l'humanité, monte tous les degrés de l'échelle et passe par le minéral, la plante et l'animal et dans la plupart des types de chaque espèce où il prélude à son complet développement comme être humain, qui me dit qu'en donnant médicalement ce qui n'est plus ni le minéral, ni la plante, ni l'animal, mais ce qu'on pourrait appeler leur essence, et en quelque sorte leur esprit, on n'agit pas sur l'âme humaine composée des mêmes éléments ? Car, on aura beau dire, l'esprit est bien quelque chose, et puisqu'il s'est développé et se développe sans cesse, il a dû prendre ses éléments quelque part.

Tout ce que je puis dire, c'est que nous n'agissons pas sur l'âme, avec nos 200e et 600e dilutions, matériellement, mais virtuellement et en quelque sorte spirituellement.

Maintenant, les faits sont là, faits nombreux, bien observés, et qui pourraient bien démontrer que je n'ai pas tout à fait tort. Pour me citer moi-même, quoique je n'aime pas beaucoup les questions personnelles, je dirai qu'expérimentant sur moi, depuis trente ans, les remèdes homéopathiques, j'ai en quelque sorte créé en moi de nouvelles facultés, rudimentaires sans doute, mais que dans ma plus luxuriante jeunesse, je n'avais jamais connues, alors que j'ignorais l'homéopathie, et qu'aujourd'hui, à cinquante-deux ans, je trouve bien développées : le sentiment de la couleur et des formes.

J'ajouterai encore que sous l'influence de nos moyens, j'ai vu des caractères changer complètement ; à la légèreté succédèrent la réflexion et la solidité du jugement ; à la lubricité, la continence ; à la méchanceté, la bienveillance ; à la haine, la bonté et le pardon des injures. Ce n'est pas évidemment l'affaire de quelques jours ; il faut bien quelques années de soins, mais on arrive à ces beaux résultats par des moyens si commodes, qu'il n'y a aucune difficulté à y décider les clients qui vous sont dévoués, et un médecin en a toujours. J'ai même remarqué que les résultats obtenus par nos moyens étaient acquis à jamais, tandis que ceux que donnent l'éducation, les bons conseils, les exhortations suivies, les livres de morale, ne tenaient guère devant la possibilité de satisfaire une ardente passion, et les tentations en rapport avec nos faiblesses, plutôt endormies et engourdies que guéries. Si des triomphes, de ce dernier cas, se manifestaient, ce n'était pas sans luttes violentes qu'il n'était pas bon de prolonger trop longtemps.

Voilà, cher maître, les observations que je tenais à vous soumettre sur cette question si grave de l'influence de l'homéopathie sur le moral humain.

Pour conclure : que ce soit par le cerveau que le médicament agisse sur les facultés, ou qu'il agisse à la fois et sur la fibre cérébrale et sur la faculté correspondante, il n'en est pas moins démontré pour moi, par des centaines de faits, que l'action subtile et profonde de nos doses sur le moral humain est bien réelle. Il m'est démontré, en outre, que l'homéopathie déprime certaines facultés, certains sentiments ou certaines passions trop exaltés, pour en relever d'autres trop affaissés, et comme paralysés, et, par cela même, conduit à l'équilibre et à l'harmonie, d'où : amélioration réelle et progrès de l'homme dans toutes ses aptitudes, et facilité à se vaincre lui-même.

Ne croyez pas que ce résultat anéantisse la responsabilité humaine, et qu'on arrive à ce progrès tant désiré sans souffrances et sans combats ; il ne suffit pas de prendre un médicament et de se dire : « Je vais triompher de mon penchant à la colère, à la jalousie, à la luxure. » Oh ! non pas ! Le remède approprié, une fois introduit dans l'organisme, n'y amène une modification profonde qu'au prix de violentes souffrances morales et physiques, et souvent de longue et très longue durée ; souffrances qu'il faut répéter plusieurs fois, en variant les médicaments et les doses, et cela pendant des mois, et quelquefois des années, si l'on veut arriver à des résultats concluants. C'est là le salaire dont il faut payer son amélioration morale ; c'est là l'épreuve et l'expiation par lesquelles tout s'achète en ce bas monde, et je vous avoue que ce n'est pas chose facile de se corriger, même par l'homéopathie. Je ne sais pas si, par les angoisses intérieures qu'on subit, on ne paye pas plus cher ce progrès que par la modification plus lente, il est vrai, mais à coup sûr plus douce et plus supportable de l'action purement morale de tous les jours, par l'observation de soi-même et le désir ardent de se vaincre.

Je termine ici ; plus tard, je vous raconterai nombre de faits qui pourront bien vous convaincre.

Recevez, etc. »



Cette lettre ne modifie en rien l'opinion que nous avons émise sur l'action de l'homéopathie dans le traitement des maladies morales, et que viennent confirmer, au contraire, les arguments mêmes de M. le docteur Grégory. Nous persistons donc à dire que : si les médicaments homéopathiques peuvent avoir une action sur le moral, c'est en agissant sur les organes des manifestations, ce qui peut avoir son utilité dans certains cas, mais non sur l'Esprit ; que les qualités bonnes ou mauvaises et les aptitudes sont inhérentes au degré d'avancement ou d'infériorité de l'Esprit, et que ce n'est pas avec un médicament quelconque qu'on peut le faire avancer plus vite, ni lui donner les qualités qu'il ne peut acquérir que successivement et par le travail ; qu'une telle doctrine, faisant dépendre les dispositions morales de l'organisme, ôte à l'homme toute responsabilité, quoi qu'en dise M. Grégory, et le dispense de tout travail sur lui-même pour s'améliorer, puisqu'on pourrait le rendre bon à son insu en lui administrant tel ou tel remède ; que si, à l'aide des moyens matériels, on peut modifier les organes des manifestations, ce que nous admettons parfaitement, ces moyens ne peuvent changer les tendances instinctives de l'Esprit, pas plus qu'en coupant la langue à un bavard on ne lui ôte l'envie de parler. Un usage d'Orient vient confirmer notre assertion par un fait matériel bien connu.

L'état pathologique influe certainement sur le moral à certains égards, mais les dispositions qui ont cette source sont accidentelles, et ne constituent pas le fond du caractère de l'Esprit ; ce sont celles-là surtout qu'une médication appropriée peut modifier. Il y a des gens qui ne sont bienveillants qu'après avoir bien dîné, et à qui il ne faut rien demander quand ils sont à jeun ; en faut-il conclure qu'un bon dîner est un remède contre l'égoïsme ? Non, car cette bienveillance, provoquée par la plénitude de la satisfaction sensuelle, est un effet même de l'égoïsme ; ce n'est qu'une bienveillance apparente, un produit de cette pensée : « Maintenant que je n'ai plus besoin de rien, je puis m'occuper un peu des autres. »

En résumé, nous ne contestons pas que certaines médications, et l'homéopathie plus que toute autre, ne produit quelques-uns des effets indiqués, mais nous en contestons plus que jamais les résultats permanents, et surtout aussi universels que quelques-uns le prétendent. Un cas où l'homéopathie surtout nous semblerait particulièrement applicable avec succès, c'est celui de la folie pathologique, parce qu'ici le désordre moral est la conséquence du désordre physique, et qu'il est constaté maintenant, par l'observation des phénomènes spirites, que l'Esprit n'est pas fou ; il n'y a pas à le modifier, mais à lui rendre les moyens de se manifester librement. L'action de l'homéopathie peut être ici d'autant plus efficace qu'elle agit principalement, par la nature spiritualisée de ses médicaments, sur le périsprit qui joue un rôle prépondérant dans cette affection.

Nous aurions plus d'une objection à faire sur quelques-unes des propositions contenues dans cette lettre ; mais cela nous entraînerait trop loin ; nous nous contentons donc de mettre les deux opinions en regard. Comme en tout, les faits sont plus concluants que les théories, et que ce sont eux, en définitive, qui confirment ou renversent ces dernières, nous désirons ardemment que M. le docteur Grégory publie un traité spécial pratique de l'homéopathie appliquée au traitement des maladies morales, afin que l'expérience puisse se généraliser et décider la question. Plus que tout autre, il nous semble capable de faire ce travail ex-professo.

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