Galilée
A propos du drame de M. Ponsard
L'événement littéraire du jour est la représentation de Galilée, drame en vers de M. Ponsard. Quoiqu'il n'y soit point question du Spiritisme, il s'y rattache par un côté essentiel : celui de la pluralité des mondes habités, et à ce point de vue nous pouvons le considérer comme une des œuvres qui sont appelées à favoriser le développement de la doctrine, en popularisant un de ses principes fondamentaux.
La destinée de l'humanité est liée à l'organisation de l'univers, comme celle de l'habitant l'est à son habitation. Dans l'ignorance de cette organisation, l'homme a dû se faire sur son passé et sur son avenir, des idées en rapport avec l'état de ses connaissances. S'il avait toujours connu la structure de la terre, il n'aurait jamais songé à placer l'enfer dans ses entrailles ; s'il avait connu l'infini de l'espace et la multitude des mondes qui s'y meuvent, il n'aurait pas localisé le ciel au-dessus du ciel des étoiles ; il n'aurait pas fait de la terre le point central de l'univers, l'unique habitation des êtres vivants ; il n'aurait pas condamné la croyance aux antipodes comme une hérésie ; s'il avait connu la géologie, jamais il n'aurait cru à la formation de la terre en six jours, et à son existence depuis six mille ans.
L'idée mesquine que l'homme se faisait de la création, devait lui donner une idée mesquine de la divinité. Il n'a pu comprendre la grandeur, la puissance, la sagesse infinies du Créateur que lorsque sa pensée a pu embrasser l'immensité de l'univers et la sagesse des lois qui le régissent, comme on juge le génie d'un mécanicien sur l'ensemble, l'harmonie et la précision d'un mécanisme, et non à la vue d'un seul rouage. Alors seulement ses idées ont pu grandir, et s'élever au-dessus de son horizon borné. Ses croyances religieuses ont de tous temps été calquées sur l'idée qu'il se faisait de Dieu et de son œuvre ; l'erreur de ses croyances sur l'origine et la destinée de l'humanité avait pour cause son ignorance des véritables lois de la nature ; s'il eût, dès l'origine, connu ces lois, ses dogmes eussent été tout autres.
Galilée, en révélant un des premiers les lois du mécanisme de l'univers, non par des hypothèses, mais par une démonstration irrécusable, a ouvert la voie à de nouveaux progrès ; il devait, par cela même, produire une révolution dans les croyances en détruisant l'échafaudage des systèmes scientifiques erronés sur lesquels elles s'appuyaient.
A chacun sa mission. Ni Moïse, ni le Christ n'avaient celle d'enseigner aux hommes les lois de la science ; la connaissance de ces lois devait être le résultat du travail et des recherches de l'homme, de l'activité et du développement de son propre esprit, et non d'une révélation à priori, qui lui eût donné le savoir sans peine. Ils n'ont dû et pu lui parler qu'un langage approprié à son état intellectuel, autrement ils n'en eussent pas été compris. Moïse et le Christ ont eu leur mission moralisatrice ; à des génies d'un autre ordre sont déférées les missions scientifiques. Or, comme les lois morales et les lois de la science sont des lois divines, la religion et la philosophie ne peuvent être vraies que par l'alliance de ces lois.
Le Spiritisme est fondé sur l'existence du principe spirituel, comme élément constitutif de l'univers ; il repose sur l'universalité et la perpétuité des êtres intelligents, sur leur progrès indéfini à travers les mondes et les générations ; sur la pluralité des existences corporelles nécessaires à leur progrès individuel ; sur leur coopération relative, comme incarnés ou désincarnés, à l'œuvre générale dans la mesure du progrès accompli ; sur la solidarité qui relie tous les êtres d'un même monde et des mondes entre eux. Dans ce vaste ensemble, incarnés et désincarnés, chacun a sa mission, son rôle, des devoirs à remplir, depuis le plus infime jusqu'aux anges qui ne sont autres que des Esprits humains arrivés à l'état de purs Esprits, et auxquels sont confiés les grandes missions, les gouvernements des mondes, comme à des généraux expérimentés ; au lieu des solitudes désertes de l'espace sans bornes, partout la vie et l'activité, nulle part l'oisiveté inutile ; partout l'emploi des connaissances acquises ; partout le désir d'avancer encore, et d'augmenter la somme du bonheur, par l'utile usage des facultés de l'intelligence. Au lieu d'une existence éphémère et unique, passée sur un petit coin de terre, qui décide à tout jamais de son sort futur, impose des bornes à son progrès, et rend stérile, pour l'avenir, la peine qu'il se donne de s'instruire, l'homme a pour domaine l'univers ; rien de ce qu'il sait et de ce qu'il fait n'est perdu : l'avenir est à lui ; au lieu de l'isolement égoïste, la solidarité universelle ; au lieu du néant, selon quelques-uns, la vie éternelle ; au lieu d'une béatitude contemplative perpétuelle, selon d'autres, qui en ferait une inutilité perpétuelle, un rôle actif proportionné au mérite acquis ; au lieu de châtiments irrémissibles pour des fautes temporaires, la position que chacun se fait par sa persévérance dans le bien ou dans le mal ; au lieu d'une tache originelle qui rend passible de fautes que l'on n'a pas commises, la conséquence naturelle de ses propres imperfections natives ; au lieu des flammes de l'enfer, l'obligation de réparer le mal qu'on a fait, et de recommencer ce qu'on a mal fait ; au lieu d'un Dieu colère et vindicatif, un Dieu juste et bon, tenant compte de tous les repentirs et de toutes les bonnes volontés.
Tel est, en abrégé, le tableau que présente le Spiritisme, et qui ressort de la situation même des Esprits qui se manifestent ; ce n'est plus une simple théorie, mais un résultat d'observation. L'homme qui envisage les choses à ce point de vue se sent grandir ; il se relève à ses propres yeux ; il est stimulé dans ses instincts progressifs en voyant un but à ses travaux, à ses efforts pour s'améliorer.
Mais pour comprendre le Spiritisme dans son essence, dans l'immensité des choses qu'il embrasse, pour comprendre le but de la vie et la destinée de l'homme, il ne fallait pas reléguer l'humanité sur un petit globe, borner l'existence à quelques années, rapetisser le créateur et la créature ; pour que l'homme pût se faire une idée juste de son rôle dans l'univers, il fallait qu'il comprît, par la pluralité des mondes, le champ ouvert à ses explorations futures et à l'activité de son esprit ; pour reculer indéfiniment les bornes de la création, pour détruire ses préjugés sur les lieux spéciaux de récompense et de punition, sur les différents étages des cieux, il fallait qu'il pénétrât les profondeurs de l'espace ; qu'au lieu du cristallin et de l'empyrée, il y vit circuler, dans une majestueuse et perpétuelle harmonie, les mondes innombrables semblables au sien ; que partout sa pensée rencontrât la créature intelligente.
L'histoire de la terre se lie à celle de l'humanité ; pour que l'homme pût se défaire de ses mesquines fausses opinions sur l'époque, la durée et le mode de création de notre globe, de ses croyances légendaires sur le déluge et sa propre origine ; pour qu'il consentît à déloger du sein de la terre l'enfer et l'empire de Satan, il fallait qu'il pût lire dans les couches géologiques l'histoire de sa formation et de ses révolutions physiques. L'astronomie et la géologie, secondées par les découvertes de la physique et de la chimie, appuyées sur les lois de la mécanique, sont les deux puissants leviers qui ont battu en brèche ses préjugés sur son origine et sa destinée.
La matière et l'esprit sont les deux principes constitutifs de l'univers ; mais la connaissance des lois qui régissent la matière devait précéder celle des lois qui régissent l'élément spirituel ; les premières seules pouvaient combattre victorieusement les préjugés par l'évidence des faits. Le Spiritisme, qui a pour objet spécial la connaissance de l'élément spirituel, ne devait venir qu'en second ; pour qu'il pût prendre son essor et porter des fruits, pour qu'il pût être compris dans son ensemble, il fallait qu'il trouvât le terrain préparé, le champ de l'esprit humain déblayé des préjugés et des idées fausses, sinon en totalité, du moins en grande partie, sans cela on n'aurait eu qu'un Spiritisme étriqué, bâtard, incomplet, et mêlé à des croyances et à des pratiques absurdes, comme il l'est encore aujourd'hui chez les peuples arriérés. Si l'on considère la situation morale actuelle des nations avancées, on reconnaîtra qu'il est venu en temps opportun pour combler les vides qui se font dans les croyances.
Galilée a ouvert la route ; en déchirant le voile qui cachait l'infini, il a élargi le domaine de l'intelligence, et porté un coup fatal aux croyances erronées ; il a détruit plus de superstitions et d'idées fausses que toutes les philosophies, car il les a sapées par la base en montrant la réalité. Le Spiritisme doit le placer au rang des grands génies qui lui ont frayé la voie en abaissant les barrières que lui opposait l'ignorance. Les persécutions dont il fut l'objet, et qui sont le lot de quiconque s'attaque aux préjugés et aux idées reçues, l'ont grandi aux yeux de la postérité, en même temps qu'elles ont abaissé les persécuteurs. Qui est aujourd'hui le plus grand, d'eux ou de lui ?
Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de citer quelques fragments du beau drame de M. Ponsard. Nous le ferons dans le prochain numéro.