Tom l'aveugle, musicien naturel
On lit dans le Spiritual Magazine de Londres :
« La célébrité
de Tom l'Aveugle qui, depuis peu, a fait son apparition à Londres,
s'était déjà répandue ici, et il y a quelques années, un article dans le
journal All the year round, avait décrit ses remarquables facultés et
la sensation qu'elles avaient produites en Amérique. La manière dont ces
facultés se sont développées chez ce nègre, esclave et aveugle,
ignorant et totalement illettré ; comment, tout enfant, surpris un jour
par les sons de la musique dans la maison de son maître, il courut sans
cérémonie prendre sa place au piano, reproduisant note par note ce qui
venait d'être joué, riant et faisant des contorsions de joie en voyant
le nouveau monde de jouissances qu'il venait de découvrir, tout cela a
été si fréquemment raconté, que je crois inutile de le mentionner de
nouveau ; mais un fait significatif et intéressant m'a été raconté par
un ami qui fut le premier témoin et appréciateur de la faculté de Tom.
Un jour une œuvre de Haendel lui fut jouée. Immédiatement Tom la rejoua
correctement, et quand il eut terminé, il se frotta les mains avec une
expression de joie indéfinissable en s'écriant : « Je le vois, c'est un
vieillard avec une grande perruque ; il a joué d'abord et moi après. »
Il est incontestable que Tom avait vu Haendel, et l'avait entendu jouer.
Tom s'est produit plusieurs fois en public, et la manière dont il
exécute les morceaux les plus difficiles ferait presque douter de son
infirmité. Il répète sans faute sur le piano, et nécessairement de
mémoire, tout ce qu'on lui joue, soit des sonates classiques anciennes,
soit des fantaisies modernes ; or, nous voudrions bien voir celui qui
pourrait apprendre de cette manière les variations de Thalberg les yeux
fermés comme il l'a fait.
Ce fait surprenant d'un aveugle,
ignorant, dépourvu de toute instruction, montrant un talent que d'autres
sont incapables d'acquérir avec tous les avantages de l'étude, sera
probablement expliqué par un grand nombre d'après la manière ordinaire
d'envisager ces choses, en disant : c'est un génie et une organisation
exceptionnelle ; mais ce n'est que le Spiritisme qui puisse donner la
clef de ce phénomène d'une manière compréhensible et rationnelle. »
Les réflexions que nous avons faites à propos de la petite fille de
Toulon, s'appliquent naturellement à Tom l'aveugle. Tom a dû être un
grand musicien auquel il suffit d'entendre pour être sur la voie de ce
qu'il a su. Ce qui rend le phénomène plus extraordinaire, c'est qu'il se
présente chez un nègre, esclave et aveugle, triple cause qui s'opposait
à la culture de ses aptitudes natives, et malgré laquelle elles se sont
manifestées à la première occasion favorable, comme une graine germe
aux rayons du soleil. Or, comme la race nègre en général, et surtout à
l'état d'esclavage, ne brille pas par la culture des arts, il en faut
conclure que l'Esprit de Tom n'appartient pas à cette race ; mais qu'il
s'y sera incarné soit comme expiation, soit comme moyen providentiel de
réhabilitation de cette race dans l'opinion, en montrant ce dont elle
est capable.
On a beaucoup dit et beaucoup écrit contre
l'esclavage et le préjugé de la couleur ; tout ce qu'on a dit est juste
et moral ; mais ce n'était qu'une thèse philosophique. La loi de la
pluralité des existences et de la réincarnation vient y ajouter
l'irréfutable sanction d'une loi de la nature qui consacre la fraternité
de tous les hommes. Tom l'esclave, né et acclamé en Amérique, est une
protestation vivante contre les préjugés qui règnent encore dans ce
pays. (Voir la Revue d'avril 1862, page 97 : Perfectibilité de la race
nègre. Phrénologie spiritualiste.)