REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1867

Allan Kardec

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Dissertations Spirites

Plan de campagne. – L'ère nouvelle. – Considérations sur le somnambulisme spontané.

Paris, 10 février 1867. Médium M. T…, en sommeil spontané.

Nota. Dans cette séance, aucune question préalable n'avait provoqué le sujet qui a été traité. Le médium s'était d'abord occupé de santé, puis, de proche en proche, il se trouva conduit aux réflexions dont nous donnons ci-après l'analyse. Il a parlé pendant environ une heure sans interruption.

Les progrès du Spiritisme causent à ses ennemis un effroi qu'ils ne peuvent dissimuler. Dans le commencement ils ont joué avec les tables tournantes, sans songer qu'ils caressaient un enfant qui devait grandir ;… l'enfant a grandi… alors ils ont pressenti son avenir, et se sont dit qu'ils en auraient bientôt raison… Mais l'enfant avait, comme on dit, la vie dure. Il a résisté à toutes les attaques, aux anathèmes, aux persécutions, même à la raillerie. Semblable à certaines graines que le vent emporte, il a produit d'innombrables rejetons ;… pour un que l'on détruisait, il en poussait cent autres.

On a d'abord employé contre lui les armes d'un autre âge, celles qui réussissaient jadis contre les idées nouvelles, parce que ces idées n'étaient que des lueurs éparses qui avaient peine à se faire jour à travers l'ignorance, et qu'elles n'avaient pas encore pris racine dans les masses ;… aujourd'hui c'est autre chose ; tout a changé : les mœurs, les idées, le caractère, les croyances ; l'humanité ne s'émeut plus des menaces qui effrayaient les enfants ; le diable, si redouté de nos aïeux, ne fait plus peur : on en rit.

Oui, les armes antiques se sont émoussées contre la cuirasse du progrès. C'est comme si, de nos jours, une armée voulait attaquer une place forte garnie de canons, avec les flèches, les béliers et les catapultes de nos ancêtres.

Les ennemis du Spiritisme ont vu, par l'expérience, l'inutilité des armes vermoulues du passé contre l'idée régénératrice ; loin de lui nuire, leurs efforts n'ont servi qu'à l'accréditer.

Pour lutter avec avantage contre les idées du siècle, il faudrait être à la hauteur du siècle ; aux doctrines progressives, il faudrait opposer des doctrines plus progressives encore… ; mais le moins ne peut l'emporter sur le plus.

Ne pouvant donc réussir par la violence, ils ont eu recours à la ruse, l'arme de ceux qui ont conscience de leur faiblesse… de loups ils se sont faits agneaux pour s'introduire dans la bergerie, y semer le désordre, la division, la confusion. Parce qu'ils sont parvenus à jeter la perturbation dans quelques rangs, ils se sont crus trop tôt maîtres de la place. Les adeptes isolés n'en ont pas moins continué leur œuvre, et l'idée fait chaque jour son chemin sans beaucoup de bruit… Ce sont eux qui ont fait le bruit… Ne la voyez-vous pas percer partout ? dans les journaux, dans les livres, au théâtre, et même dans la chaire ? Elle travaille toutes les consciences ; elle entraîne les esprits vers de nouveaux horizons ; on la trouve à l'état d'intuition chez ceux mêmes qui n'en ont pas entendu parler. C'est là un fait que personne ne peut nier, et qui devient chaque jour plus évident ; n'est-ce pas la preuve que l'idée est irrésistible, et qu'elle est un signe du temps ?

L'anéantir est donc chose impossible, parce qu'il faudrait l'anéantir, non pas sur un point, mais sur le globe entier ; et puis, les idées ne sont-elles pas portées sur l'aile des vents, et comment les atteindre ? On saisit des ballots de marchandises à la douane ; mais des idées ! elles sont insaisissables.

Que faire alors ? Essayer de s'en emparer pour les accommoder à sa guise… Eh bien ! c'est le parti auquel on s'est décidé. On s'est dit : Le Spiritisme est le précurseur d'une révolution morale inévitable ; avant qu'elle ne soit entièrement accomplie, tâchons de la détourner à notre profit ; faisons en sorte qu'il en soit de celle-ci comme de certaines révolutions politiques ; en en dénaturant l'esprit, on pourrait lui imprimer un autre courant.

Le plan de campagne est donc changé… Vous verrez se former des réunions spirites, dont le but avoué sera la défense de la doctrine, et dont le but secret sera sa destruction ; de soi-disant médiums qui auront des communications de commande appropriées au but qu'on se propose ; des publications qui, sous le manteau du Spiritisme, s'efforceront de le démolir ; des doctrines qui lui emprunteront quelques idées, mais avec la pensée de le supplanter. Voilà la lutte, la véritable lutte qu'il aura à soutenir, et qui sera poursuivie avec acharnement, mais dont il sortira victorieux et plus fort.

Que peuvent les hommes contre la volonté de Dieu ? Est-il possible de la méconnaître en présence de ce qui se passe ? Son doigt n'est-il pas visible dans ce progrès qui brave toutes les attaques ? dans ces phénomènes qui surgissent de toutes parts comme une protestation, comme un démenti donné à toutes les négations ?… La vie des hommes, le sort de l'humanité ne sont-ils pas entre ses mains ?… les aveugles !… Ils comptent sans la nouvelle génération qui s'élève, et qui emporte chaque jour la génération qui s'en va… encore quelques années, et celle-ci aura disparu, ne laissant après elle que le souvenir de ses tentatives insensées pour arrêter l'élan de l'esprit humain qui marche, marche quand même… Ils comptent sans les événements qui vont hâter l'éclosion de la nouvelle période humanitaire… sans les appuis qui vont s'élever en faveur de la nouvelle doctrine et dont la voix puissante imposera silence à ses détracteurs par son autorité.

Oh ! combien la face du monde sera changée pour ceux qui verront le commencement du siècle prochain !… Que de ruines ils verront derrière eux, et quels splendides horizons s'ouvriront devant eux !… ce sera comme l'aurore refoulant les ombres de la nuit ;… aux bruits, aux tumultes, aux mugissements de la tempête succèderont des chants d'allégresse ; après les angoisses, les hommes renaîtront à l'espérance… Oui ! le vingtième siècle sera un siècle béni, car il verra l'ère nouvelle annoncée par le Christ.

Nota. Ici le médium s'arrête, dominé par une émotion indicible, et comme épuisé de fatigue. Après quelques minutes de repos, pendant lesquelles il semble revenir au degré du somnambulisme ordinaire, il reprend :

Qu'est-ce que je vous disais donc ? – Vous nous parliez du nouveau plan de campagne des adversaires du Spiritisme ; puis vous avez envisagé l'ère nouvelle. – J'y suis.

En attendant ils disputent le terrain pied à pied. On a à peu près renoncé aux armes d'un autre âge dont on a reconnu l'inefficacité ; on essaye maintenant de celles qui sont toutes puissantes en ce siècle d'égoïsme, d'orgueil et de cupidité : l'or, la séduction de l'amour-propre. Auprès de ceux qui sont inaccessibles à la crainte, on exploite la vanité, les besoins terrestres. Tel qui s'est roidi contre la menace, prête quelquefois une oreille complaisante à la flatterie, à l'appât du bien-être matériel… On promet du pain à celui qui n'en a pas, de l'ouvrage à l'artisan, des pratiques au marchand, de l'avancement à l'employé, des honneurs à l'ambitieux s'ils renoncent à leurs croyances ; on les frappe dans leur position, dans leurs moyens d'existence, dans leurs affections, s'ils sont indociles ; puis le mirage de l'or produit sur quelques-uns son effet ordinaire. Dans le nombre, il se trouve nécessairement quelques caractères faibles qui succombent à la tentation. Il y en a qui tombent dans le piège de bonne foi, parce que la main qui le dresse se cache… Il y en a aussi, et beaucoup, qui cèdent à la dure nécessité, mais qui n'en pensent pas moins ; leur renoncement n'est qu'apparent ; ils plient, mais pour se relever à la première occasion… D'autres, ceux qui ont à un plus haut degré le véritable courage de la foi, bravent résolument le danger ; ceux-là réussissent toujours, parce qu'ils sont soutenus par les bons Esprits… Quelques-uns, hélas !… mais ceux-là n'ont jamais été Spirites de cœur… préfèrent l'or de la terre à l'or du ciel ; ils restent, pour la forme, attachés à la doctrine, et sous ce manteau, n'en servent que mieux la cause de ses ennemis… c'est un triste échange qu'ils font là, et qu'ils payeront bien cher !

Dans les temps de cruelles épreuves que vous allez traverser, heureux ceux sur qui s'étendra la protection des bons Esprits, car jamais elle n'aura été plus nécessaire !… Priez pour les frères égarés, afin qu'ils mettent à profit les courts instants de répit qui leur sont accordés avant que la justice du Très-Haut s'appesantisse sur eux… Quand ils verront éclater l'orage, plus d'un criera grâce ! Mais il leur sera répondu : Qu'avez-vous fait de nos enseignements ? N'avez-vous pas, vous médiums, écrit cent fois votre propre condamnation ?… Vous avez eu la lumière, et vous n'en avez pas profité ; nous vous avions donné un abri, pourquoi l'avez-vous déserté ? Subissez donc le sort de ceux que vous avez préférés. Si votre cœur eût été touché de nos paroles, vous seriez restés fermes dans la voie du bien qui vous était tracée ; si vous aviez eu la foi, vous auriez résisté aux séductions tendues à votre amour-propre et à votre vanité. Avez-vous donc cru pouvoir nous en imposer, comme aux hommes, par de fausses apparences ? Sachez, si vous en avez douté, qu'il n'est pas un seul mouvement de l'âme, qui n'ait son contrecoup dans le monde des Esprits.

Croyez-vous que ce soit pour rien, que se développe la faculté voyante chez un si grand nombre de personnes ? que ce soit pour offrir un nouvel aliment à la curiosité que tant de médiums aujourd'hui s'endorment spontanément du sommeil de l'extase ? Non, détrompez-vous. Cette faculté, qui vous est annoncée depuis longtemps, est un signe caractéristique des temps qui s'accomplissent ; c'est un prélude de la transformation, car, comme il vous a été dit, ce doit être un des attributs de la nouvelle génération. Cette génération, plus épurée moralement, le sera aussi physiquement ; la médiumnité sous toutes les formes sera à peu près générale, et la communion avec les Esprits un état pour ainsi dire normal.

Dieu envoie cette faculté voyante en ces moments de crise et de transition pour donner à ses fidèles serviteurs un moyen de déjouer les trames de leurs ennemis, car les mauvaises pensées que l'on croit cachées dans l'ombre des replis de la conscience, se répercutent dans ces âmes sensitives, comme dans une glace, et se dévoilent elles-mêmes. Celui qui n'exhale que de bonnes pensées ne craint pas qu'on les connaisse. Heureux celui qui peut dire : Lisez dans mon âme comme dans un livre ouvert.

Remarque. Le somnambulisme spontané, dont nous avons déjà parlé, n'est en effet qu'une forme de la médiumnité voyante dont le développement était annoncé depuis quelque temps, de même que l'apparition de nouvelles aptitudes médianimiques. Il est remarquable que dans tous les moments de crise générale ou de persécution, les personnes douées de cette faculté sont plus nombreuses que dans les temps ordinaires ; il y en a eu beaucoup au moment de la révolution ; les Camisards des Cévènes, traqués comme des bêtes fauves, avaient de nombreux voyants qui les avertissaient de ce qui se passait au loin ; on les a, pour ce fait, et par ironie, qualifiés d'illuminés ; aujourd'hui on commence à comprendre que la vue à distance et indépendante des organes de la vision peut bien être un des attributs de la nature humaine, et le Spiritisme l'explique par la faculté expansive et les propriétés de l'âme. Les faits de ce genre se sont tellement multipliés, qu'on s'en étonne moins ; ce qui paraissait à quelques-uns autrefois miracle ou sortilège, est aujourd'hui considéré comme effet naturel. C'est une des mille voies par lesquelles pénètre le Spiritisme, de sorte que, si on l'arrête à une source, il se fait jour par d'autres issues.

Cette faculté n'est donc pas nouvelle, mais elle tend à se généraliser, sans doute pour le motif indiqué dans la communication ci-dessus, mais aussi comme moyen de prouver aux incrédules l'existence du principe spirituel. Au dire des Esprits elle deviendrait même endémique, ce qui s'expliquerait naturellement par la transformation morale de l'humanité, cette transformation devant amener dans l'organisme des modifications qui faciliteront l'expansion de l'âme.

Comme d'autres facultés médianimiques, celle-ci peut être exploitée par le charlatanisme ; il est donc bon de se tenir en garde contre la supercherie qui pourrait, par un motif quelconque, chercher à la simuler, et de s'assurer, par tous les moyens possibles, de la bonne foi de ceux qui disent la posséder. Outre le désintéressement matériel et moral, et l'honorabilité notoire de la personne, qui sont les premières garanties, il convient d'observer avec soin les conditions et les circonstances dans lesquelles le phénomène se produit, et de voir si elles n'offrent rien de suspect.



Les Espions

Société de Paris, 12 juillet 1867 ; méd. M. Morin, en sommeil spontané.

Lorsque, à la suite d'une terrible convulsion humanitaire, la société entière se mouvait lentement, accablée, écrasée, et ignorant la cause de son accablement, quelques êtres privilégiés, quelques vieux vétérans du bien, mettant en commun leur expérience de la difficulté à le reproduire, et ajoutant à cela le respect que devait provoquer leur conduite et leur position, résolurent de chercher à approfondir les causes de cette crise générale dont chacun est frappé en particulier.

L'ère nouvelle commence, et avec elle le Spiritisme (ce mot est créé ; il ne reste plus qu'à le faire comprendre et à en apprendre soi-même la signification). Le temps impassible marche toujours, et le Spiritisme, qui n'est plus seulement un mot, n'a plus à se faire comprendre : il est compris !… Mais, les quelques vétérans spirites, ces créateurs, ces missionnaires, sont toujours à la tête du mouvement… Leur petit bataillon est bien faible quant au nombre ; mais patience !… de proche en proche il gagne des adhérents, et bientôt il sera une armée : l'armée des vétérans du bien ! Car, en général, le Spiritisme, à son début, dans ses premières années, n'a presque toujours touché que les cœurs déjà usés aux frottements de la vie, les cœurs qui ont souffert et payé, ceux qui portaient en germe les principes du beau, du bien, du bon, du grand.

Descendant successivement du vieillard à l'âge mûr, de l'âge mûr à l'âge viril et de l'âge viril à l'adolescence, le Spiritisme s'est infiltré dans tous les âges, comme dans tous les cœurs, dans toutes les religions, dans toutes les sectes, partout ! L'assimilation a été lente, mais sûre !… Et aujourd'hui ne craignez point qu'il tombe ce drapeau spirite, tenu dès son début par une main ferme et sûre ; car aujourd'hui, les jeunes phalanges des bataillons spirites ne crient pas, comme leurs adversaires : « Place aux jeunes. » Non, ils ne disent pas : « Sortez, les vieux, pour laisser monter les jeunes. » Ils ne demandent qu'une place au banquet de l'intelligence, que le droit de s'asseoir à côté de leurs devanciers et d'apporter leur obole au grand tout. Aujourd'hui, la jeunesse se virilise ; elle apporte son acquis à l'âge mûr en échange de l'expérience de ce dernier, en raison de la grande loi de réciprocité et des conséquences du travail collectif pour la science, la moralité, le bien ; car, en définitive, si la science progresse, au bénéfice de qui progresse-t-elle ? Ne sont-ce pas les corps humains qui profitent de toutes les élucidations, de tous les problèmes résolus, de toutes les inventions réalisées ? et cela profite à tous, de même que si vous progressez en moralité, cela profite à tous les Esprits. Donc, aujourd'hui, les jeunes gens et les vieillards sont égaux devant le progrès et doivent combattre côte à côte pour sa réalisation.

Le bataillon est devenu une armée, armée invulnérable, mais qui a à combattre, non un, mais des milliers d'adversaires coalisés contre elle. Donc, jeunes gens, apportez avec confiance la fougue de vos convictions, et vous, vieillards, votre sagesse, votre connaissance des hommes et des choses, votre expérience sans illusion.

L'armée est en front de bataille. Vos ennemis sont nombreux, mais ils ne sont pas en face de vous, front contre front, poitrine contre poitrine ; ils sont partout à vos côtés, devant, derrière, au milieu de vous, au sein même de votre cœur, et vous n'avez pour les combattre que votre bonne volonté, vos consciences loyales et vos tendances au bien. De ces armées coalisées, l'une a nom : l'orgueil ; les autres : l'ignorance, le fanatisme, la superstition, la paresse, les vices de toute nature.

Et votre armée qui doit combattre de front, doit aussi savoir lutter en particulier, car vous ne serez pas un contre un, mais un contre dix !… La belle victoire à remporter !… Eh bien ! si vous combattez tous en masse, avec l'espérance de triompher, combattez-vous d'abord vous-mêmes, domptez vos mauvaises tendances ; hypocrites, acquérez la sincérité ; paresseux, devenez travailleurs ; orgueilleux, soyez humbles, tendez la main à la loyauté vêtue d'une blouse en lambeaux, et tous, solidairement, prenez et tenez l'engagement de faire à autrui ce que voudriez qui vous fût fait. Donc, crions, non pas : Place aux jeunes, mais place à tout ce qui est beau, bien, à tout ce qui tend à s'approcher de la Divinité.

Aujourd'hui, on commence à le prendre en considération, ce pauvre Spiritisme qu'on disait mort-né ; on voit en lui un ennemi sérieux, et pourquoi donc ?… On ne la craignait point à ses débuts, cet enfant débile ; on se riait de ses efforts impuissants ; mais aujourd'hui que l'enfant est devenu homme, on le craint, parce qu'il a la force de l'âge viril ; c'est qu'il a réuni autour de lui des hommes de tous les âges, de toutes les positions sociales, de tous les degrés d'intelligence, qui comprennent que la sagesse, la science acquise, peuvent aussi bien résider dans le cœur d'un jeune homme de vingt ans que dans le cerveau d'un homme de soixante.

Donc, aujourd'hui, ce pauvre Spiritisme est craint, redouté ; on n'ose pas venir en face, se mesurer à lui ; on prend les chemins de détours, la route des lâches !… On ne vient pas, à la lumière du jour, lui dire : Tu n'es pas ; on vient au milieu de ses partisans, dire comme eux, faire comme eux, applaudir et approuver tout ce qu'ils font lorsqu'on est avec eux, pour les combattre et les trahir quand on a tourné le dos. Oui, voilà ce qu'on fait aujourd'hui ! Au début, on lui disait en face ce qu'on pensait à l'enfant malingre, mais aujourd'hui on n'ose plus, car il a grandi, et cependant jamais il n'a montré les dents.

Si l'on me dit de vous dire ceci, bien que cela me soit toujours pénible, c'est que cela avait son utilité ; rien, pas un mot, pas un geste, pas une intonation de voix ne s'effectuent sans qu'ils n'aient leur raison d'être et qu'ils n'apportent leur contingent dans l'équilibre général. L'administration des postes de là-haut est bien plus intelligente et plus complète que celle de votre terre ; toute parole va à son but, à son adresse, sans suscription, tandis que chez vous la lettre qui n'en porte pas n'arrive jamais.

Remarque. La communication ci-dessus est, comme on le voit, une application de ce qui a été dit dans la précédente sur l'effet de la faculté voyante, et ce n'est pas la seule fois qu'il nous a été donné de constater les services que cette faculté est appelée à rendre. Ce n'est pas à dire qu'il faille ajouter une foi aveugle à tout ce qui peut être dit en pareil cas ; il y aurait autant d'imprudence à croire sans réserve le premier venu, qu'à mépriser les avertissements qui peuvent être donnés par cette voie. Le degré de confiance qu'on peut y ajouter dépend des circonstances ; cette faculté demande à être étudiée ; avant tout, il faut agir avec circonspection, et se garder d'un jugement précipité.

Quant au fond de la communication, sa coïncidence avec celle qui a été donnée cinq mois auparavant, par un autre médium, et dans un autre milieu, est un fait digne de remarque, et nous savons que des instructions analogues sont données dans différents centres. Il est donc prudent de se tenir sur la réserve avec les gens sur la sincérité desquels on n'a pas toute raison d'être édifié. Les Spirites, sans doute, n'ont que des principes hautement avouables ; ils n'ont rien à cacher ; mais ce qu'ils ont à craindre, c'est de voir leurs paroles dénaturées et leurs intentions travesties ; ce sont les pièges tendus à leur bonne foi par les gens qui plaident le faux pour savoir le vrai ; qui, sous les apparences d'un zèle trop exagéré pour être sincère, tentent d'entraîner les groupes dans une voie compromettante, soit pour leur susciter des embarras, soit pour jeter la défaveur sur la doctrine.



La responsabilité morale

Société de Paris, 9 juillet 1867. Méd. M. Nivard.

J'assiste à toutes tes causeries mentales, mais sans les diriger : tes pensées sont émises en ma présence, mais je ne les provoque pas. C'est le pressentiment des cas qui ont quelque chance de se présenter, qui fait naître en toi les pensées propres à résoudre les difficultés qu'ils pourraient te susciter. C'est là le libre arbitre ; c'est l'exercice de l'Esprit incarné, s'essayant à résoudre des problèmes qu'il se pose lui-même.

En effet, si les hommes n'avaient que les idées que les Esprits leur inspirent, ils auraient peu de responsabilité et peu de mérite ; ils n'auraient que la responsabilité d'avoir écouté de mauvais conseils, ou le mérite d'avoir suivi les bons. Or, cette responsabilité et ce mérite seraient évidemment moins grands que s'ils étaient le résultat de l'entier libre arbitre, c'est-à-dire d'actes accomplis dans la plénitude de l'exercice des facultés de l'Esprit, qui, dans ce cas, agit sans aucune sollicitation.

Il résulte de ce que je dis que très souvent les hommes ont des pensées qui leur sont essentiellement propres, et que les calculs auxquels ils se livrent, les raisonnements qu'ils tiennent, les conclusions auxquelles ils aboutissent, sont le résultat de l'exercice intellectuel au même titre que le travail manuel est le résultat de l'exercice corporel. Il ne faudrait pas conclure de là, que l'homme n'est pas assisté dans ses pensées et dans ses actes par les Esprits qui l'entourent, bien au contraire ; les Esprits, soit bienveillants, soit malveillants, sont souvent la cause provocatrice de vos actes et de vos pensées ; mais vous ignorez complètement dans quelles circonstances cette influence se produit, en sorte qu'en agissant, vous croyez le faire en vertu de votre propre mouvement : votre libre arbitre reste intact ; il n'y a de différence entre les actes que vous accomplissez sans y être poussés, et ceux que vous accomplissez sous l'influence des Esprits, que dans le degré du mérite ou de la responsabilité.

Dans l'un et l'autre cas, la responsabilité et le mérite existent, mais, je le répète, ils n'existent pas au même degré. Ce principe que j'énonce n'a pas, je crois, besoin de démonstration ; il me suffira, pour le prouver, de prendre une comparaison dans ce qui existe parmi vous.

Si un homme a commis un crime, et qu'il l'ait commis, séduit par les conseils dangereux d'un homme qui exerce sur lui beaucoup d'influence, la justice humaine saura le reconnaître en lui accordant bénéfice des circonstances atténuantes ; elle ira plus loin : elle punira l'homme dont les conseils pernicieux ont provoqué le crime, et sans y avoir autrement contribué, cet homme sera plus sévèrement puni que celui qui n'a été que l'instrument, parce que c'est sa pensée qui a conçu le crime, et son influence sur un être plus faible qui l'a fait exécuter. Eh bien ! ce que font les hommes dans ce cas, en diminuant la responsabilité du criminel et en la partageant l'infâme avec qui l'a poussé à commettre le crime, comment voudriez-vous que Dieu, qui est la justice même, n'en fît pas autant, puisque votre raison vous dit qu'il est juste d'agir ainsi ?

Pour ce qui concerne le mérite des bonnes actions, que j'ai dit être moins grand si l'homme a été sollicité à les faire, c'est la contrepartie de ce que je viens de dire au sujet de la responsabilité, et peut se démontrer en renversant la proposition.

Ainsi donc, quand il t'arrive de réfléchir et de promener tes idées d'un sujet à un autre ; quand tu discutes mentalement sur les faits que tu prévois ou qui sont déjà accomplis ; quand tu analyses, quand tu raisonnes et quand tu juges, ne crois pas que ce soient des Esprits qui te dictent tes pensées ou qui te dirigent ; ils sont là, près de toi, ils t'écoutent ; ils voient avec plaisir cet exercice intellectuel auquel tu te livres ; leur plaisir est doublé, quand ils voient que tes conclusions sont conformes à la vérité.

Il leur arrive quelquefois, évidemment, de se mêler à cet exercice, soit pour le faciliter, soit pour donner à l'Esprit quelques aliments, ou lui créer quelques difficultés, afin de rendre cette gymnastique intellectuelle plus profitable à celui qui la pratique ; mais, en général, l'homme qui cherche, quand il est livré à ses réflexions, agit presque toujours seul, sous l'œil vigilant de son Esprit protecteur, qui intervient si le cas est assez grave pour rendre son intervention nécessaire.

Ton père qui veille sur toi, et qui est heureux de te voir à peu près rétabli. (Le médium sortait d'une grave maladie.)

Louis Nivard.

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