13.- CHAPITRE II. - 9. Or, le Seigneur Dieu avait planté dès le
commencement un jardin délicieux, dans lequel il mit l'homme qu'il avait
formé. - Le Seigneur Dieu avait aussi produit de la terre toutes sortes
d'arbres beaux à la vue et dont le fruit était agréable au goût, et
l'arbre de vie au milieu du paradis
[4], avec l'arbre de la science du bien et du mal (
Il fit sortir, Jéhovah Eloïm, de la terre (min haadama)
tout arbre beau à voir et bon à manger, et l'arbre de vie (vehetz hachayim)
au milieu du jardin, et l'arbre de la science du bien et du mal).
15. Le Seigneur prit donc l'homme, et le mit dans le paradis de
délices, afin qu'il le cultivât et le gardât. - 16. Il lui fit aussi ce
commandement, et lui dit : Mangez de tous les arbres du paradis (
Il ordonna, Jéhovah Eloïm, à l'homme (hal haadam),
disant : De tout arbre du jardin (hagan)
tu peux manger).
- 17. Mais ne mangez point du fruit de l'arbre de la science du bien et
du mal ; car en même temps que vous en mangerez, vous mourrez très
certainement. (
Et de l'arbre de la science du bien et du mal (oumehetz hadaat tob vara)
tu n'en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.)
14.- CHAPITRE III. - 1. Or, le serpent était le plus fin de tous les
animaux que le Seigneur Dieu avait formés sur la terre. Et il dit à la
femme : Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de
tous les arbres du paradis ? (
Et le serpent (nâhâsch)
était rusé plus que tous les animaux terrestres qu'avait faits Jéhovah Eloïm ; il dit à la femme (el haïscha) :
Est-ce qu'il a dit, Eloïm : Vous ne mangerez d'aucun arbre du jardin ?) - 2. La femme lui répondit : Nous mangeons des fruits de tous les arbres qui sont dans le paradis. (
Elle dit, la femme, au serpent, du fruit (miperi)
des arbres du jardin nous pouvons manger).
- 3. Mais pour ce qui est du fruit de l'arbre qui est au milieu du
paradis, Dieu nous a commandé de n'en point manger, et de n'y point
toucher, de peur que nous ne fussions en danger de mourir. - 4. Le
serpent repartit à la femme : Assurément, vous ne mourrez point ; - 5.
Mais c'est que Dieu sait qu'aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit,
vos yeux seront ouverts, et vous serez comme
des dieux, connaissant le bien et le mal.
6. La femme considéra donc que le fruit de cet arbre était bon à
manger ; qu'il était beau et agréable à la vue. Et en ayant pris, elle
en mangea, et en donna à son mari qui en mangea aussi. (
Elle vit, la femme, qu'il était bon, l'arbre, comme nourriture et qu'il était enviable l'arbre pour COMPRENDRE (leaskil),
et elle prit de son fruit, etc.).
8. Et comme ils eurent entendu la voix du Seigneur Dieu, qui se
promenait dans le paradis après midi, lorsqu'il s'élève un vent doux,
ils se retirèrent au milieu des arbres du paradis pour se cacher de
devant sa face.
9.- Alors le Seigneur Dieu appela Adam, et lui
dit : Où êtes-vous ? - 10. Adam lui répondit : J'ai entendu votre voix
dans le paradis, et j'ai eu peur, parce que j'étais nu, c'est pourquoi
je me suis caché. - 11. Le Seigneur lui repartit : Et d'où avez-vous su
que vous étiez nu, sinon de ce que vous avez mangé du fruit de l'arbre
dont je vous avais défendu de manger ? - 12. Adam lui répondit : La
femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté du fruit de cet
arbre, et j'en ai mangé. - 13. Le Seigneur Dieu dit à la femme :
Pourquoi avez-vous fait cela ? Elle répondit : Le serpent m'a trompée,
et j'ai mangé de ce fruit.
14. Alors le Seigneur Dieu dit au
serpent : Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux
et toutes les bêtes de la terre ; tu ramperas sur le ventre, et tu
mangeras la terre tous les jours de ta vie. - 15. Je mettrai une
inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te
brisera la tête et tu tâcheras de la mordre par le talon.
16.
Dieu dit aussi à la femme : Je vous affligerai de plusieurs maux pendant
votre grossesse ; vous enfanterez dans la douleur ; vous serez sous la
domination de votre mari, et il vous dominera.
17. Il dit
ensuite à Adam : Parce que vous avez écouté la voix de votre femme, et
que vous avez mangé du fruit de l'arbre dont je vous avais défendu de
manger, la terre sera maudite à cause de ce que vous avez fait, et vous
n'en tirerez de quoi vous nourrir pendant toute votre vie qu'avec
beaucoup de travail. - 18. Elle vous produira des épines et des ronces,
et vous vous nourrirez de l'herbe de la terre. - 19. Et vous mangerez
votre pain à la sueur de votre visage, jusqu'à ce que vous retourniez en
la terre d'où vous avez été tiré, car vous êtes poudre, et vous
retournerez en poudre.
20. Et Adam donna à sa femme le nom d'
Eve, qui signifie la vie, parce qu'elle était la mère de tous les vivants.
21. Le Seigneur Dieu fit aussi à Adam et à sa femme des habits de
peaux dont il les revêtit. - 22. Et il dit : Voilà Adam devenu comme
l'un de nous,
sachant le bien et le mal. Empêchons donc maintenant qu'il ne porte sa
main à l'arbre de vie, qu'il ne prenne aussi de son fruit, et que,
mangeant de ce fruit, il ne vive éternellement. (
Il
dit, Jéhovah Eloïm : Voici, l'homme a été comme un de nous pour la
connaissance du bien et du mal ; et maintenant il peut tendre la main et
prendre de l'arbre de la vie (veata pen ischlachyado velakach mehetz hachayim) ;
il en mangera et vivra éternellement.)
23. Le Seigneur Dieu le fit sortir du jardin de délices, afin qu'il
allât travailler à la culture de la terre d'où il avait été tiré. - 24.
Et l'en ayant chassé, il mit des chérubins
[5] devant le jardin de délices, qui faisaient étinceler une épée de feu, pour garder le chemin qui conduisait à l'arbre de vie.
15.- Sous une image puérile et parfois ridicule, si l'on s'arrête à la
forme, l'allégorie cache souvent les plus grandes vérités. Est-il une
fable plus absurde au premier abord que celle de Saturne, un dieu
dévorant des pierres qu'il prend pour ses enfants ? Mais, en même temps,
quoi de plus profondément philosophique et vrai que cette figure, si
l'on en cherche le sens moral ! Saturne est la personnification du temps
; toutes choses étant l'oeuvre du temps, il est le père de tout ce qui
existe, mais aussi tout se détruit avec le temps. Saturne dévorant des
pierres est l'emblème de la destruction, par le temps, des corps les
plus durs qui sont ses enfants, puisqu'ils se sont formés avec le temps.
Et qui échappe à cette destruction d'après cette même allégorie ?
Jupiter, l'emblème de l'intelligence supérieure, du principe spirituel
qui est indestructible. Cette image est même si naturelle, que, dans le
langage moderne, sans allusion à la Fable antique, on dit d'une chose
détériorée à la longue, qu'elle est dévorée par le temps, rongée,
ravagée par le temps.
Toute la mythologie païenne n'est, en
réalité, qu'un vaste tableau allégorique des divers côtés bons et
mauvais de l'humanité. Pour qui en cherche l'esprit, c'est un cours
complet de la plus haute philosophie, comme il en est de nos fables
modernes. L'absurde était de prendre la forme pour le fond.
16.- Il en est de même de la Genèse, où il faut voir de grandes vérités
morales sous des figures matérielles qui, prises à la lettre, seraient
aussi absurdes que si, dans nos fables, on prenait à la lettre les
scènes et les dialogues attribués aux animaux.
Adam est la
personnification de l'humanité ; sa faute individualise la faiblesse de
l'homme, en qui prédominent les instincts matériels auxquels il ne sait
pas résister
[6].
L'arbre, comme arbre de vie, est l'emblème de la vie spirituelle ;
comme arbre de la science, c'est celui de la conscience que l'homme
acquiert du bien et du mal par le développement de son intelligence et
celui du libre arbitre en vertu duquel il choisit entre les deux ; il
marque le point où l'âme de l'homme, cessant d'être guidée par les seuls
instincts, prend possession de sa liberté et encourt la responsabilité
de ses actes.
Le fruit de l'arbre est l'emblème de l'objectif
des désirs matériels de l'homme ; c'est l'allégorie de la convoitise et
de la concupiscence ; il résume sous une même figure les sujets
d'entraînement au mal ; en manger, c'est succomber à la tentation. Il
croît au milieu du jardin de délices pour montrer que la séduction est
au sein même des plaisirs, et rappeler que, si l'homme donne la
prépondérance aux jouissances matérielles, il s'attache à la terre et
s'éloigne de sa destinée spirituelle
[7].
La mort dont il est menacé, s'il enfreint la défense qui lui est
faite, est un avertissement des conséquences inévitables, physiques et
morales, qu'entraîne la violation des lois divines que Dieu a gravées
dans sa conscience. Il est bien évident qu'il ne s'agit pas ici de la
mort corporelle, puisque, après sa faute, Adam vécut encore fort
longtemps, mais bien de la mort spirituelle, autrement dit de la perte
des biens qui résultent de l'avancement moral, perte dont son expulsion
du jardin de délices est l'image.
17.- Le serpent est loin de
passer aujourd'hui pour le type de la ruse ; c'est donc ici, par rapport
à sa forme plutôt que pour son caractère, une allusion à la perfidie
des mauvais conseils qui se glissent comme le serpent, et dont souvent,
pour cette raison, on ne se méfie pas. D'ailleurs, si le serpent, pour
avoir trompé la femme, a été condamné à ramper sur le ventre, cela
voudrait dire qu'auparavant il avait des jambes, et alors ce n'était
plus un serpent. Pourquoi donc imposer à la foi naïve et crédule des
enfants, comme des vérités, des allégories aussi évidentes, et qui, en
faussant leur jugement, leur font plus tard regarder la Bible comme un
tissu de fables absurdes ?
Il faut remarquer, en outre, que le mot hébreu
nâhâsch, traduit par le mot
serpent, vient de la racine
nâhâsch qui signifie :
faire des enchantements,
deviner les choses cachées, et peut signifier :
enchanteur, devin. On le trouve, avec cette acception, dans la Genèse, chap. XLIV,
v.
5 et 15, à propos de la coupe que Joseph fit cacher dans le sac de
Benjamin : « La coupe que vous avez dérobée est celle dans laquelle mon
Seigneur boit, et dont il se sert pour deviner (
nâhâsch[8]). - Ignorez-vous qu'il n'y a personne qui m'égale dans la science de deviner (
nâhâsch) ? » - Au livre des Nombres, chap. XXIII,
v. 23 : « Il n'y a point d'enchantements (
nâhâsch) dans Jacob, ni de devins dans Israël. » Par suite, le mot
nâhâsch a pris aussi la signification de
serpent, reptile que les charmeurs prétendaient enchanter, ou dont ils se servaient dans leurs enchantements.
Ce n'est que dans la version des
Septante,
- qui, selon Hutcheson, ont corrompu le texte hébreu en beaucoup
d'endroits, - écrite en grec au deuxième siècle avant l'ère chrétienne,
que le mot
nâhâsch a été traduit par
serpent.
Les inexactitudes de cette version tiennent, sans doute, aux
modifications que la langue hébraïque avait subies dans l'intervalle ;
car l'hébreu du temps de Moïse était alors une langue morte, qui
différait de l'hébreu vulgaire, autant que le grec ancien et l'arabe
littéraire diffèrent du grec et de l'arabe modernes
[9].
Il est donc probable que Moïse a entendu, par le séducteur de la
femme, le désir indiscret de connaître les choses cachées suscité par
l'Esprit de divination, ce qui s'accorde avec le sens primitif du mot
nâhâsch,
deviner ; et, d'autre part, avec ces paroles : « Dieu sait qu'aussitôt
que vous avez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts, et vous serez
comme des
dieux. - Elle vit, la femme, qu'il était enviable l'arbre pour
comprendre (léaskil),
et elle prit de son fruit. » Il ne faut pas oublier que Moïse voulait
proscrire, chez les Hébreux, l'art de la divination, en usage chez les
Egyptiens, ainsi que le prouve sa défense d'interroger les morts, et
l'Esprit de Python (
Ciel et Enfer selon le Spiritisme, chap. XI).
18.- Le passage où il est dit que : « Le Seigneur se promenait dans le
paradis, après midi, lorsqu'il s'élève un vent doux, » est une image
naïve et quelque peu puérile, que la critique n'a pas manqué de relever ;
mais elle n'a rien qui doive surprendre si l'on se reporte à l'idée que
les Hébreux des temps primitifs se faisaient de la Divinité. Pour ces
intelligences frustes, incapables de concevoir des abstractions, Dieu
devait revêtir une forme concrète, et ils rapportaient tout à l'humanité
comme au seul point connu. Moïse leur parlait donc comme à des enfants,
par des images sensibles. Dans le cas dont il s'agit, c'était la
puissance souveraine personnifiée, comme les Païens personnifiaient,
sous des figures allégoriques, les vertus, les vices et les idées
abstraites. Plus tard, les hommes ont dépouillé l'idée de la forme,
comme l'enfant, devenu adulte, cherche le sens moral dans les contes
dont on l'a bercé. Il faut donc considérer ce passage comme une
allégorie de la Divinité surveillant elle-même les objets de sa
création. Le grand rabbin Wogue, le traduit ainsi : « Ils entendirent la
voix de l'Eternel Dieu, parcourant le jardin du côté d'où vient le jour ».
19.- Si la faute d'Adam est littéralement d'avoir mangé un fruit, elle
ne saurait incontestablement, par sa nature presque puérile, justifier
la rigueur dont elle a été frappée. On ne saurait non plus
rationnellement admettre que ce soit le fait que l'on suppose
généralement ; autrement Dieu, considérant ce fait comme un crime
irrémissible, aurait condamné son propre ouvrage, puisqu'il avait créé
l'homme pour la propagation. Si Adam eût entendu dans ce sens la défense
de toucher au fruit de l'arbre et qu'il s'y fût scrupuleusement
conformé, où serait l'humanité, et qu'en aurait-il été des desseins du
Créateur ?
Dieu n'avait point créé Adam et Eve pour rester
seuls sur la terre ; et la preuve en est dans les paroles mêmes qu'il
leur adresse immédiatement après leur formation, alors qu'ils étaient
encore dans le paradis terrestre :
« Dieu les bénit et leur dit : Croissez et multipliez-vous,
remplissez la terre et
vous l'assujettissez. » (Ch, I, v. 28.) Puisque la multiplication de
l'homme était une loi dès le paradis terrestre, son expulsion ne peut
avoir pour cause le fait supposé.
Ce qui a donné du crédit à
cette supposition, c'est le sentiment de honte dont Adam et Eve ont été
saisis à la vue de Dieu et qui les a portés à se cacher. Mais cette
honte elle-même est une figure par comparaison : elle symbolise la
confusion que tout coupable éprouve en présence de celui qu'il a
offensé.
20.- Quelle est donc, en définitive, cette faute si
grande qu'elle a pu frapper de réprobation à perpétuité tous les
descendants de celui qui l'a commise ? Caïn le fratricide ne fut pas
traité si sévèrement. Aucun théologien n'a pu la définir logiquement,
parce que tous, ne sortant pas de la lettre, ont tourné dans un cercle
vicieux.
Aujourd'hui, nous savons que cette faute n'est point
un acte isolé, personnel à un individu, mais qu'elle comprend, sous un
fait allégorique unique, l'ensemble des prévarications dont peut se
rendre coupable l'humanité encore imparfaite de la terre, et qui se
résument en ces mots :
infraction à la loi de Dieu. Voilà pourquoi la faute du premier homme, symbolisant l'humanité, est symbolisée elle-même par un acte de désobéissance.
21.- En disant à Adam qu'il tirera sa nourriture de la terre à la
sueur de son front, Dieu symbolise l'obligation du travail ; mais
pourquoi fait-il du travail une punition ? Que serait l'intelligence de
l'homme, s'il ne la développait pas par le travail ? Que serait la
terre, si elle n'était pas fécondée, transformée, assainie par le
travail intelligent de l'homme ?
Il est dit (Ch. II, v. 5 et 7)
: « Le Seigneur Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et
il n'y avait point d'homme pour la labourer. Le Seigneur forma donc
l'homme du limon de la terre. » Ces paroles, rapprochées de celles-ci :
Remplissez la terre, prouvent que l'homme était, dès l'origine, destiné à occuper
toute la terre et à la cultiver
; et, en outre, que le paradis n'était pas un lieu circonscrit sur un
coin du globe. Si la culture de la terre devait être une conséquence de
la faute d'Adam, il en serait résulté que, si Adam n'eût pas péché, la
terre serait restée inculte, et que les vues de Dieu n'auraient pas été
accomplies.
Pourquoi dit-il à la femme que, parce qu'elle a
commis la faute, elle enfantera dans la douleur ? Comment la douleur de
l'enfantement peut-elle être un châtiment puisqu'elle est une
conséquence de l'organisme, et qu'il est prouvé physiologiquement
qu'elle est nécessaire ? Comment une chose qui est selon les lois de la
nature peut-elle être une punition ? C'est ce que les théologiens n'ont
point encore expliqué, et ce qu'ils ne pourront faire tant qu'ils ne
sortiront pas du point de vue où ils se sont placés ; et cependant ces
paroles, qui semblent si contradictoires, peuvent être justifiées.
22.- Remarquons d'abord que si, au moment de la création d'Adam et
Eve, leur âme venait d'être tirée du néant, comme on l'enseigne, ils
devaient être novices en toutes choses ; ils ne devaient pas savoir ce
que c'est que mourir. Puisqu'ils étaient
seuls sur
la terre, tant qu'ils vécurent dans le paradis terrestre, ils n'avaient
vu mourir personne ; comment donc auraient-ils pu comprendre en quoi
consistait la menace de mort que Dieu leur faisait ? Comment Eve
aurait-elle pu comprendre qu'enfanter dans la douleur serait une
punition, puisque, venant de naître à la vie, elle n'avait jamais eu
d'enfants et qu'elle était la seule femme au monde ?
Les
paroles de Dieu ne devaient donc avoir pour Adam et Eve aucun sens. A
peine tirés du néant, ils ne devaient savoir ni pourquoi ni comment ils
en étaient sortis ; ils ne devaient comprendre ni le Créateur ni le but
de la défense qu'il leur faisait. Sans aucune expérience des conditions
de la vie, ils ont péché comme des enfants qui agissent sans
discernement, ce qui rend plus incompréhensible encore la terrible
responsabilité que Dieu a fait peser sur eux et sur l'humanité tout
entière.
23.- Ce qui est une impasse pour la théologie, le
Spiritisme l'explique sans difficulté et d'une manière rationnelle par
l'antériorité de l'âme et la pluralité des existences, loi sans laquelle
tout est mystère et anomalie dans la vie de l'homme. En effet,
admettons qu'Adam et Eve aient déjà vécu, tout se trouve justifié : Dieu
ne leur parle point comme à des enfants, mais comme à des êtres en état
de le comprendre et qui le comprennent, preuve évidente qu'ils ont un
acquis antérieur. Admettons, en outre, qu'ils aient vécu dans un monde
plus avancé et moins matériel que le nôtre, où le travail de l'Esprit
suppléait au travail du corps ; que par leur rébellion à la loi de Dieu,
figurée par la désobéissance, ils en aient été exclus et exilés par
punition sur la terre, où l'homme, par suite de la nature du globe, est
astreint à un travail corporel, Dieu avait raison de leur dire : Dans le
monde où vous allez vivre désormais, « vous cultiverez la terre et en
tirerez votre nourriture à la sueur de votre front ; » et à la femme : «
Vous enfanterez dans la douleur, » parce que telle est la condition de
ce monde (Chap. XI, n° 31 et suiv.).
Le paradis terrestre, dont
on a inutilement cherché les traces sur la terre, était donc la figure
du monde heureux où avait vécu Adam, ou plutôt la race des Esprits dont
il est la personnification. L'expulsion du paradis marque le moment où
ces Esprits sont venus s'incarner parmi les habitants de ce monde, et le
changement de situation qui en a été la suite. L'ange armé d'une épée
flamboyante, qui défend l'entrée du paradis, symbolise l'impossibilité
où sont les Esprits des mondes inférieurs de pénétrer dans les mondes
supérieurs avant de l'avoir mérité par leur épuration (Voir ci-après
chap. XIV, n° 8 et suiv.).
24.- Caïn (après le meurtre d'Abel)
répondit au Seigneur : Mon iniquité est trop grande pour pouvoir en
obtenir le pardon. - Vous me chassez aujourd'hui de dessus la terre, et
j'irai me cacher de devant votre face. Je serai fugitif et vagabond sur
la terre, quiconque donc me trouvera me tuera. - Le Seigneur lui
répondit : Non, cela ne sera pas ; car quiconque tuera Caïn en sera puni
très sévèrement. Et le Seigneur mit un signe sur Caïn, afin que ceux
qui le trouveraient ne le tuassent point.
Caïn, s'étant retiré
de devant la face du Seigneur, fut vagabond sur la terre, et il habita
vers la région orientale de l'Eden. - Et ayant connu sa femme, elle
conçut et enfanta Hénoch. Il bâtit (
vaïehi bôné ; litt. : il était bâtissant) une ville qu'il appela
Hénoch (Enochia) du nom de son fils (Chap. IV,
v. de 13 à 16).
25.- Si l'on s'en rapporte à la lettre de la Genèse, voici à quelles
conséquences on arrive : Adam et Eve étaient seuls dans le monde après
leur expulsion du paradis terrestre ; ce n'est que postérieurement
qu'ils eurent pour enfants Caïn et Abel. Or Caïn, ayant tué son frère et
s'étant retiré dans une autre contrée, ne revit plus son père et sa
mère, qui furent de nouveau seuls ; ce n'est que longtemps après, à
l'âge de cent trente ans, qu'Adam eut un troisième fils, appelé Seth.
Après la naissance de Seth, il vécut encore, selon la généalogie
biblique, huit cents ans, et eut des fils et des filles.
Lorsque Caïn vint s'établir à l'orient de l'Eden, il n'y avait donc sur
la terre que trois personnes : son père et sa mère, et lui
seul de
son côté. Cependant il eut une femme et un enfant ; quelle pouvait être
cette femme et où avait-il pu la prendre ? Le texte hébreu dit :
Il était bâtissant une ville, et non
il bâtit,
ce qui indique une action présente et non ultérieure ; mais une ville
suppose des habitants, car il n'est pas à présumer que Caïn la fit pour
lui, sa femme et son fils, ni qu'il ait pu la construire à lui seul.
Il faut donc inférer de ce récit même que la contrée était peuplée ;
or ce ne pouvait être par les descendants d'Adam, qui alors n'en avait
pas d'autre que Caïn.
La présence d'autres habitants ressort
également de cette parole de Caïn : « Je serai fugitif et vagabond, et
quiconque me trouvera me tuera, » et de la réponse que Dieu lui fit. Par
qui pouvait-il craindre d'être tué, et à quoi bon le signe que Dieu mit
sur lui pour le préserver, s'il ne devait rencontrer personne ? Si donc
il y avait sur la terre d'autres hommes en dehors de la famille d'Adam,
c'est qu'ils y étaient avant lui ; d'où cette conséquence, tirée du
texte même de la Genèse, qu'Adam n'est ni le premier, ni l'unique père
du genre humain (Chap. XI, n° 34)
[10].
26.- Il fallait les connaissances que le Spiritisme a apportées
touchant les rapports du principe spirituel et du principe matériel, sur
la nature de l'âme, sa création à l'état de simplicité et d'ignorance,
son union avec le corps, sa marche progressive indéfinie à travers des
existences successives, et à travers les mondes qui sont autant
d'échelons dans la voie du perfectionnement, son affranchissement
graduel de l'influence de la matière par l'usage de son libre arbitre,
la cause de ses penchants bons ou mauvais et de ses aptitudes, le
phénomène de la naissance et de la mort, l'état de l'Esprit dans
l'erraticité, enfin l'avenir qui est le prix de ses efforts pour
s'améliorer et de sa persévérance dans le bien, pour jeter la lumière
sur toutes les parties de la Genèse spirituelle.
Grâce à cette
lumière, l'homme sait désormais d'où il vient, où il va, pourquoi il est
sur la terre et pourquoi il souffre ; il sait que son avenir est entre
ses mains, et que la durée de sa captivité ici-bas dépend de lui. La
Genèse, sortie de l'allégorie étroite et mesquine, lui apparaît grande
et digne de la majesté, de la bonté et de la justice du Créateur.
Considérée de ce point de vue, la Genèse confondra l'incrédulité et la
vaincra.