REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863

Allan Kardec

Vous êtes ici: REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863 > Avril


Avril

Étude sur les possédés de Morzines
Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre.
Quatrième article

Dans une seconde édition de sa brochure sur l'épidémie de Morzines[1], M. le docteur Constant répond à M. de Mirville qui a critiqué son scepticisme à l'endroit des démons, et lui reproche de n'avoir pas été sur les lieux. « Il s'est arrêté, dit-il, à Thonon, non certes qu'il ait eu peur des diables, mais du chemin, et ne se croit pas moins l'homme le mieux renseigné. Il me reproche encore, ainsi qu'à un autre médecin, d'être parti de Paris avec une opinion toute faite ; je puis à bon droit, s'il veut bien me le permettre, lui renvoyer ce reproche : nous serons alors ex æquo sur ce point. »

Nous ne savons si M. de Mirville y serait allé avec le parti irrévocablement pris de ne voir aucune affection physique chez les malades de Morzines, mais il est bien évident que M. Constant y est allé avec celui de n'y voir aucune cause occulte. Le parti pris, dans un sens quelconque, est la plus mauvaise condition pour un observateur, car alors il voit tout et rapporte tout à son point de vue, négligeant ce qui peut y être contraire ; ce n'est certes pas le moyen d'arriver à la vérité. L'opinion bien arrêtée de M. Constant touchant la négation des causes occultes ressort de ce qu'il repousse à priori comme erronées toute observation et toute conclusion qui s'écarte de sa manière de voir, dans les comptes rendus faits avant le sien. Ainsi, tandis que M. Constant insiste avec force sur la constitution débile, lymphatique et rachitique des habitants, l'insalubrité du pays, la mauvaise qualité et l'insuffisance de la nourriture, M. Arthaud, médecin en chef des aliénés de Lyon, qui fut envoyé à Morzine, dit dans son rapport : « que la constitution des habitants est bonne, que les scrofules sont rares ; malgré toutes ses recherches, il n'a pu découvrir qu'un seul cas d'épilepsie et un d'imbécillité. » Mais, réplique M. Constant, « M. Arthaud n'a passé que très peu de jours dans ce pays, il n'a dû voir qu'une trop faible partie de la population, et il est très difficile d'obtenir des renseignements sur les familles. »

Un autre rapport s'exprime ainsi sur le même sujet :

« Nous soussignés…, déclarons qu'ayant entendu parler des faits extraordinaires présentés comme des possessions de démons qui avaient lieu à Morzines, nous nous sommes transportés dans cette paroisse où nous sommes arrivés le 30 septembre dernier (1857), pour être témoins de ce qui s'y passe et pour examiner tout cela avec maturité et prudence, en nous éclairant par tous les moyens que fournit la présence sur les lieux, à l'effet de pouvoir former un jugement raisonnable en pareille matière.

1o Nous avons vu huit enfants qui sont délivrés et cinq qui sont en état de crise ; la plus jeune de ces enfants a dix ans et la plus âgée vingt-deux.

2o D'après tout ce qu'on nous a dit et ce que nous avons pu observer, ces enfants sont dans l'état de santé le plus parfait ; elles font tous les ouvrages et les travaux que demande leur position, de sorte qu'on ne voit pour les autres habitudes et les occupations aucune différence entre elles et les autres enfants de la montagne.

3o Nous avons vu ces enfants, les enfants non guéries, dans les moments lucides ; or, nous pouvons assurer que rien n'a pu être observé en elles, soit en fait d'idiotisme, soit en fait de prédispositions aux crises actuelles, par des travers de caractère ou par un esprit exalté. Nous appliquons la même observation à celles qui sont guéries. Toutes les personnes que nous avons consultées sur les antécédents et les premières années de ces enfants, nous ont assuré que ces filles étaient, sous le rapport de l'intelligence, dans le plus parfait état.

4o Le plus grand nombre de ces enfants appartient à des familles qui sont dans une honnête aisance de fortune.

5o Nous assurons qu'elles appartiennent à des familles qui jouissent d'une bonne réputation, et qu'il y en a parmi elles dont la vertu et la piété sont exemplaires. »

Nous donnerons tout à l'heure la suite de ce rapport concernant certains faits. Nous voulions simplement constater que tout le monde n'a pas vu les choses sous des couleurs aussi noires que M. Constant qui représente les habitants comme étant dans la dernière misère, et de plus entêtés, processifs et menteurs, quoique bons dans le fond, et surtout pieux, ou plutôt dévots. Or, qui a raison de M. Constant seul, ou de plusieurs autres non moins honorables qui certifient avoir bien observé ? Nous n'hésitons pas, pour notre compte, à nous ranger de l'avis de ces derniers, d'après ce que nous avons vu, et d'après ce que nous ont dit plusieurs autorités médicales et administratives du pays, et à maintenir l'opinion émise dans nos précédents articles.

Pour nous, la cause première n'est donc ni dans la constitution ni dans le régime hygiénique des habitants, car, ainsi que nous l'avons fait observer, il y a maintes contrées, à commencer par le Valais limitrophe, où les conditions de toute nature, morales et autres, sont infiniment plus défavorables, et où, cependant, cette maladie n'a point sévi. Nous la verrons tout à l'heure circonscrite, non à la vallée, mais dans les limites de la seule commune de Morzines. Si, comme l'affirme M. Constant, la cause est inhérente à la localité, au genre de vie et a l'infériorité morale des habitants, nous demandons encore pourquoi l'effet est épidémique au lieu d'être endémique comme le goitre et le crétinisme dans le Valais ? Pourquoi les épidémies du même genre dont parle l'histoire se sont produites dans des maisons religieuses où l'on ne manquait de rien, et qui se trouvaient dans les meilleures conditions de salubrité ?

Voici du reste le tableau que M. Constant fait du caractère des Morzinois.

« Un séjour prolongé, des visites successives et journalières dans chaque maison à peu près, m'ont permis d'arriver à d'autres constatations.

Les habitants de Morzine sont doux, honnêtes et d'une grande piété ; il serait peut-être plus vrai de dire d'une grande dévotion.

Ils sont entêtés et renoncent difficilement à une idée qu'ils ont adoptée, ce qui, à bien d'autres inconvénients, ajoute celui de les rendre processifs : autre source de gêne et de misère, car les conciliations sont rares ; mais ce n'est que par exceptions bien éloignées que la justice criminelle trouve chez eux des justiciables.

Ils ont un air grave et sérieux qui semble un reflet de l'âpre nature qui les entoure, et qui leur imprime une sorte de cachet particulier qui les ferait prendre pour les membres d'une vaste communauté religieuse ; leur existence en effet diffère peu de celle d'un couvent.

Ils seraient intelligents, si leur jugement n'était obscurci par une foule de croyances absurdes ou exagérées, par un entraînement invincible vers le merveilleux, que leur ont légué les siècles passés et dont n'a pas su les guérir le siècle présent.

Tous aiment les contes, les histoires impossibles ; bien que foncièrement honnêtes, il en est qui mentent avec un aplomb imperturbable pour soutenir ce qu'ils ont avancé en ce genre. Si bien qu'ils finissent, j'en suis persuadé, par mentir de bonne foi, par croire à leurs propres mensonges sans cesser de croire à ceux des autres. Pour être juste, il faut dire que le plus grand nombre ne ment même pas, on ne fait que raconter inexactement ce qu'on a vu. »

A nos yeux, la cause est indépendante des conditions physiques des hommes et des choses. Si nous formulons cette opinion, ce n'est pas un parti pris de voir partout l'action des Esprits, car nul n'admet leur intervention avec plus de circonspection que nous, mais par l'analogie que nous remarquons entre certains effets et ceux qui nous sont démontrés être le résultat évident d'une cause occulte. Mais, encore une fois, comment admettre cette cause quand on ne croit pas à l'existence des Esprits ? Comment admettre, avec Raspail, les affections occasionnées par les animalcules microscopiques, si l'on nie l'existence de ces animaux, parce qu'on ne les a pas vus ? Avant l'invention du microscope, Raspail eût passé pour un fou de voir partout des bêtes ; aujourd'hui qu'on est bien plus éclairé, on ne voit pas les Esprits ; il ne manque cependant à beaucoup, pour cela, que de mettre des lunettes.

Nous ne nions pas qu'il y ait, dans l'affection dont il s'agit, des effets pathologiques, parce que l'expérience nous en montre souvent en pareil cas, mais nous disons qu'ils sont consécutifs et non causatifs. Qu'un médecin spirite ait été envoyé à Morzines, il y aurait vu ce que d'autres n'ont pas vu, sans négliger pour cela les faits physiologiques.

Après avoir parlé de M. de Mirville qui, dit-il, s'est arrêté en route, M. Constant ajoute :

« M. Allan Kardec a fait le voyage complet. Dans les numéros de décembre 1862 et janvier 1863 de sa Revue Spirite, il a déjà publié deux articles, mais ce ne sont que des préliminaires ; l'examen des faits viendra avec le numéro de février. En attendant, il nous avertit que l'épidémie de Morzines est semblable à celle qui sévissait en Judée du temps du Christ. C'est bien possible.

Au risque d'encourir le blâme de quelques lecteurs qui trouveront que j'eusse probablement mieux fait de ne pas parler des Spirites, j'engage vivement ceux qui voudront bien lire cette brochure, à lire le même sujet dans les auteurs que je viens de citer.

Il ne faudrait pas cependant se méprendre sur le but de mon invitation ; plus il y aura de lecteurs sérieux des œuvres du Spiritisme, et plus tôt il sera fait justice complète d'une croyance, d'une science, dit-on, sur laquelle je pourrais peut-être risquer une opinion, après avoir tant de fois constaté un de ses résultats : le contingent assez remarquable qu'elle fournit, chaque année, à la population de nos asiles d'aliénés. »

On peut voir par là avec quelles idées M. Constant est allé à Morzines. Nous ne chercherons certes pas à l'amener à notre opinion, nous lui dirons seulement que le résultat de la lecture des ouvrages spirites est démontré par l'expérience tout autre qu'il ne l'espère, puisque cette lecture, au lieu de faire prompte justice de cette prétendue science, en multiplie les adeptes chaque année par milliers ; qu'on les compte aujourd'hui dans le monde entier par cinq ou six millions, dont le dixième environ en France seulement. S'il objectait que ce sont tous des sots et des ignorants, nous lui demanderions pourquoi cette doctrine compte au nombre de ses plus fermes partisans un si grand nombre de médecins dans tous les pays, ce qu'atteste notre correspondance, le nombre des médecins abonnés à la Revue, et de ceux qui président ou font partie des groupes et sociétés spirites, sans parler du nombre non moins grand des adeptes appartenant à des positions sociales où l'on n'arrive que par l'intelligence et l'instruction. Ceci est un fait matériel qu'il n'est au pouvoir de personne de nier ; or, comme tout effet a une cause, la cause de cet effet c'est que le Spiritisme ne semble pas à tout le monde aussi absurde qu'il plaît à quelques-uns de le dire. – C'est malheureusement vrai, s'écrient les adversaires de la doctrine ; aussi n'avons-nous plus qu'à nous voiler la face sur le sort de l'humanité qui marche à sa décadence.

Reste la question de folie, aujourd'hui le loup-garou à l'aide duquel on cherche à effrayer les populations, qui ne s'en émeuvent guère, comme on peut le voir. Quand ce moyen sera épuisé, on en imaginera sans doute un autre ; en attendant, nous renvoyons à l'article publié dans le numéro de février 1863, sous le titre de : la Folie Spirite, page 51.

Les premiers symptômes de l'épidémie de Morzines se sont déclarés au mois de mars 1857, sur deux petites filles d'une dizaine d'années ; au mois de novembre suivant, le nombre des malades était de vingt-sept, et en 1861 il atteignit le chiffre maximum de cent vingt.

Si nous rendions compte des faits d'après ce que nous avons vu, on pourrait dire que nous n'avons vu que ce que nous avons voulu voir ; d'ailleurs, nous sommes arrivé au déclin de la maladie, et nous n'y sommes point resté assez longtemps pour tout observer. En citant les observations des autres, on ne nous accusera pas de ne voir que par nos yeux.

Nous empruntons au rapport dont nous avons donné ci-dessus un extrait, les observations suivantes :

« Ces enfants parlent la langue française pendant leurs crises avec une facilité étonnante, même celles qui, hors de là, n'en savent que quelques mots.

Ces enfants, une fois dans leurs crises, perdent complètement toute réserve envers qui que ce soit ; elles perdent aussi complètement toute affection de famille.

La réponse est toujours si prompte et si facile, qu'on dirait qu'elle vient au-devant de l'interrogation ; cette réponse est toujours ad rem, excepté quand le parleur répond par des bêtises, par des insultes ou un refus affecté.

Pendant la crise, le pouls reste calme, et, dans la plus grande fureur, le personnage a l'air de se posséder, comme quelqu'un qui appellerait la colère à son commandement, sans ressembler aux personnes exaltées ou prises d'un accès de fièvre.

Nous avons remarqué pendant les crises une insolence inouïe qui passe toute expression, dans des enfants qui, hors de là, sont douces et timides.

Pendant la crise, il y a dans toutes ces enfants un caractère d'impiété permanent porté au delà de toutes les limites, dirigé contre tout ce qui rappelle Dieu, les mystères de la religion, Marie, les saints, les sacrements, la prière, etc. ; le caractère dominant de ces moments affreux, c'est la haine de Dieu et de tout ce qui s'y rapporte.

Il nous est bien constaté que ces enfants révèlent des choses qui arrivent au loin, ainsi que des faits passés dont elles n'avaient aucune connaissance ; elles ont aussi révélé à plusieurs personnes leurs pensées.

Elles annoncent quelquefois le commencement, la durée et la fin des crises, ce qu'elles feront plus tard et ce qu'elles ne feront pas.

Nous savons qu'elles ont donné des réponses exactes à des questions adressées en langues à elles inconnues, allemand, latin, etc.

Ces enfants ont, dans l'état de crise, une force qui n'est pas proportionnée à leur âge, puisqu'il faut trois ou quatre hommes pour tenir, pendant les exorcismes, des petites filles de dix ans.

Il est à remarquer que, pendant la crise, les enfants ne se font aucun mal, ni par les contorsions qui semblent de nature à disloquer leurs membres, ni par les chutes qu'elles font, ni par les coups qu'elles se donnent en frappant avec violence.

Il y a toujours invariablement dans leurs réponses, la distinction de plusieurs personnages : la fille et lui, le démon et le damné.

Hors de la crise, ces enfants n'ont aucun souvenir de ce quelles ont dit ou de ce qu'elles ont fait ; soit que la crise ait duré même toute une journée, soit qu'elles aient fait des ouvrages prolongés ou des commissions données dans l'état de crise.

Pour conclure nous dirons :

Que notre impression à nous est que tout cela est surnaturel, dans la cause et dans les effets ; d'après les règles de la saine logique, et d'après tout ce que la théologie, l'histoire ecclésiastique et l'Evangile nous enseignent et nous racontent,

Nous déclarons que, selon nous, il y a une véritable possession du démon.

En foi de quoi,

Signé : ***.

Morzines, 5 octobre 1857. »



Voici comment M. Constant décrit l'état de crise des malades, d'après ses propres observations :

« Au milieu du calme le plus complet, rarement la nuit, il survient tout à coup des bâillements, des pandiculations, quelques tressaillements, de petits mouvements saccadés et d'aspect choréique dans les bras ; peu à peu, et dans un très court espace de temps, comme par l'effet de décharges successives, ces mouvements deviennent plus rapides, ensuite plus amples, et ne paraissent bientôt plus qu'une exagération des mouvements physiologiques ; la pupille se dilate et se resserre tour à tour, et les yeux participent aux mouvements généraux.

A ce moment, les malades, dont l'aspect avait d'abord paru exprimer la frayeur, entrent dans un état de fureur qui va toujours croissant, comme si l'idée qui les domine produisait deux effets presque simultanés : de la dépression et de l'excitation tout aussitôt.

Elles frappent sur les meubles avec force et vivacité, commencent à parler, ou plutôt à vociférer ; ce qu'elles disent toutes à peu près, quand on ne les surexcite pas par des questions, se réduit à ces mots indéfiniment répétés : « S… nom ! s… ch… gne ! s… rouge ! » (Elles appellent rouges ceux à la piété desquels elles ne croient pas.) Quelques-unes ajoutent des jurements.

Si près d'elles ne se trouve aucun spectateur étranger ; s'il ne leur est pas fait de questions, elles répètent sans cesse la même chose sans rien ajouter ; si c'est le contraire, elles répondent à ce que dit le spectateur, et même aux pensées qu'elles lui prêtent, aux objections qu'elles prévoient, mais sans s'écarter de leur idée dominante, en y rapportant tout ce qu'elles disent. Ainsi c'est souvent : Ah ! tu crois, b… d'incrédule, que nous sommes folles, que nous n'avons qu'un mal d'imagination ! Nous sommes des damnées, s… n… de D… ! Nous sommes des diables de l'enfer ! »

Et comme c'est toujours un diable qui parle par leur bouche, le prétendu diable raconte quelquefois ce qu'il faisait sur la terre, ce qu'il a fait depuis en enfer, etc.

Devant moi elles ajoutaient invariablement :

Ce ne sont pas tes s… médecins qui nous guériront ! Nous nous f… bien de tes médecines ! Tu peux bien les faire prendre à la fille, elles la tourmenteront, elles la feront souffrir ; mais à nous, elles ne nous feront rien, car nous sommes des diables ! Ce sont de saints prêtres, des évêques qu'il nous faut, etc. »

Ce qui ne les empêche point d'insulter les prêtres quand il s'en présente, sous prétexte qu'ils ne sont pas assez saints pour avoir action sur les démons. Devant le maire, des magistrats, c'était toujours la même idée, mais avec d'autres paroles.

A mesure qu'elles parlent, toujours avec la même véhémence, toute leur physionomie n'a d'autre caractère que celui de la fureur. Quelquefois le cou se gonfle, la face s'injecte ; chez d'autres, elle pâlit, tout comme il arrive aux personnes ordinaires qui, selon leur constitution, rougissent ou pâlissent pendant un violent accès de colère ; les lèvres sont souvent souillées de salive, ce qui a fait dire que les malades écumaient.

Les mouvements, bornés d'abord aux parties supérieures, gagnent successivement le tronc et les membres intérieurs ; la respiration devient haletante ; les malades redoublent de fureur, deviennent agressives, déplacent les meubles et lancent chaises, tabourets, tout ce qui leur tombe sous la main, sur les assistants ; se précipitent sur eux pour les frapper, aussi bien leurs parents que les étrangers ; se jettent à terre, toujours continuant les même cris ; se roulent, frappent les mains sur le sol, se frappent elles-mêmes sur la poitrine, le ventre, sur la partie antérieure du cou, et cherchent à arracher quelque chose qui semble les gêner en ce point. Elles se tournent et se retournent d'un bond ; j'en ai vu deux qui, se relevant comme par la détente d'un ressort, se renversaient en arrière, de telle façon que leur tête reposait sur le sol en même temps que leurs pieds.

Cette crise dure plus ou moins, dix, vingt minutes, une demi-heure, selon la cause qui l'a provoquée. Si c'est la présence d'un étranger, d'un prêtre surtout, il est très rare qu'elle finisse avant que la personne se soit éloignée ; dans ce cas les mouvements convulsifs ne sont cependant pas continus ; après avoir été très violents, ils s'affaiblissent et s'arrêtent pour recommencer immédiatement, comme si la force nerveuse épuisée prenait un moment de repos pour se réparer.

Pendant la crise, le pouls, les battements du cœur, ne sont nullement accélérés, c'est même le plus ordinairement le contraire : le pouls se concentre, devient petit, lent, et les extrémités se refroidissent ; malgré la violence de l'agitation, les coups furieux frappés de tous côtés, les mains restent glacées.

Contrairement à ce qui s'est vu souvent dans des cas analogues, aucune idée érotique ne se mêle ou ne paraît s'ajouter à l'idée démoniaque ; j'ai même été frappé de cette particularité, parce qu'elle est commune à toutes les malades : aucune ne dit le moindre mot ou ne fait le moindre geste obscène : dans leurs mouvements les plus désordonnés, jamais elles ne se découvrent, et si leurs vêtements se relèvent un peu quand elles se roulent à terre, il est très rare qu'elles ne les rabattent presque aussitôt.

Il ne paraît point qu'il y ait ici lésion de la sensibilité génitale ; aussi il n'a jamais été question d'incubes, de succubes ou de scènes du sabbat ; toutes les malades appartiennent, comme démonomanes, au second des quatre groupes indiqués par M. Macario ; quelques-unes entendent la voix des diables, beaucoup plus généralement ils parlent par leur bouche.

Après le grand désordre, les mouvements deviennent peu à peu moins rapides ; quelques gaz s'échappent par la bouche, et la crise est finie. La malade regarde autour d'elle d'un air un peu étonné, arrange ses cheveux, ramasse et replace son bonnet, boit quelques gorgées d'eau, et reprend son ouvrage, si elle en tenait un quand la crise a commencé ; presque toutes disent n'éprouver aucune lassitude et ne pas se souvenir de ce qu'elles ont dit ou fait.

Cette dernière assertion n'est pas toujours sincère ; j'en ai surpris quelques-unes se souvenant très bien, seulement elles ajoutaient : « Je sais bien qu'il (le diable) a dit ou fait telle chose, mais ce n'est pas moi ; si ma bouche a parlé, si mes mains ont frappé, c'était lui qui les faisait parler et frapper ; j'aurais bien voulu rester tranquille, mais il est plus fort que moi. »

Cette description est celle de l'état le plus fréquent ; mais entre les extrêmes, il existe plusieurs degrés, depuis la malade qui n'a que des crises de douleurs gastralgiques, jusqu'à celle qui arrive au dernier paroxysme de la fureur. Cette réserve faite, je n'ai trouvé, sur toutes les malades que j'ai visitées, de différences dignes d'être notées que chez quelques-unes seulement.

L'une, la nommée Jeanne Br…, quarante-huit ans, non mariée, très vieille hystérique, sent des bêtes qui ne sont autres que des diables qui lui courent sur la figure et la piquent.

La femme Nicolas B…, âgée-de trente-huit ans, malade depuis trois ans, aboie pendant ses crises ; elle attribue sa maladie à un verre de vin qu'elle a bu en compagnie d'un de ceux qui donnent le mal.

Jeanne G…, âgée de trente-sept ans, non mariée, est celle dont les crises diffèrent le plus. Elle n'a point de ces mouvements cloniques généraux qui se voient chez toutes les autres, et elle ne parle presque jamais. Dès qu'elle sent venir sa crise, elle va s'asseoir et se met à balancer la tête d'arrière en avant ; les mouvements, lents et peu étendus d'abord, vont toujours s'accélérant, et finissent par faire parcourir à la tête, avec une incroyable rapidité, un arc de cercle de plus en plus étendu, jusqu'à ce qu'elle vienne alternativement et régulièrement frapper le dos et la poitrine. Par intervalles le mouvement s'arrête un instant, et les muscles contractés maintiennent la tête fixée dans la position où elle se trouvait au moment du temps d'arrêt, sans qu'il soit possible, même avec des efforts, de la redresser ou de la fléchir.

Victoire V…, âgée de vingt ans, devint malade l'une des premières, à l'âge de seize ans. Son père raconte ainsi ce qu'elle a éprouvé :

Elle n'avait jamais rien ressenti, quand le mal la prit un jour à la messe ; pendant les deux ou trois premiers jours, elle ne faisait que sauter un peu. Un jour elle m'apportait mon dîner à la cure où je travaillais, l'Angélus sonna comme elle arrivait sur le pont ; elle se mit aussitôt à sauter, et se jeta par terre en criant et en gesticulant, jurant après le sonneur. Le curé de Montriond se trouva là par hasard, elle l'injuria, l'appela s… ch… de Montriond. M. le curé de Morzines vint aussi près d'elle au moment où la crise finissait, mais elle recommença aussitôt, parce qu'il lui fit un signe de croix sur le front. On l'avait exorcisée souvent, mais voyant que rien ne la guérissait, pas plus les exorcismes qu'autre chose, je la conduisis à Genève chez M. Lafontaine (le magnétiseur) ; elle y est restée un mois, et est revenue bien guérie : elle a été tranquille près de trois ans.

Il y a six semaines elle a été reprise, mais elle n'avait plus de crise ; elle ne voulait voir personne et s'enfermait à la maison ; elle ne mangeait que quand j'avais quelque chose de bon à lui donner, autrement elle ne pouvait avaler. Elle ne pouvait se tenir sur ses jambes, ni à peine remuer les bras ; j'ai essayé plusieurs fois de la mettre debout, mais elle ne se sentait pas, et tombait dès que je ne la tenais plus. Je me suis décidé à la reconduire chez M. Lafontaine ; je ne savais comment l'emmener ; elle me dit : « Quand je serai sur la commune de Montriond, je marcherai bien. » Aidé d'un de mes voisins, nous l'avons portée plutôt qu'elle n'a marché jusqu'à Montriond. Mais aussitôt de l'autre côté du pont, elle a marché toute seule et ne se plaignit plus que d'un goût horrible dans la bouche. Après deux séances chez M. Lafontaine, elle était mieux, et maintenant elle est placée comme domestique. »

Il a été généralement remarqué, dit M. Constant, que dès qu'elles sont hors de la commune, les malades n'ont que très rarement des crises.

Un jour, le maire, qui m'accompagnait, fut surpris par une malade et violemment frappé avec une pierre au visage ; presque au même instant une autre malade se précipitait sur lui, armée d'un gros morceau de bois, pour le frapper aussi ; voyant venir celle-ci, il lui présenta le bout aigu de son bâton ferré, la menaçant de l'en percer si elle avançait ; elle s'arrêta, laissa tomber son morceau de bois et se contenta de dire des injures.

Malgré les courses, les sauts, les mouvements violents et désordonnés des malades, malgré les coups qu'elles se donnent, leurs terreurs ou leurs divagations, on ne cite point de tentative de suicide ou d'accident grave arrivé à aucune d'entre elles ; elles ne perdent donc point toute conscience, l'instinct de conservation au moins subsiste.

Si, au commencement d'une crise, une femme tient son enfant dans ses bras, il arrive souvent qu'un diable moins méchant que celui qui va la travailler lui dise : « Laisse cet enfant, il (l'autre diable) lui ferait du mal. » Il en est de même quelquefois quand elles tiennent un couteau ou tout autre instrument susceptible d'occasionner une blessure.

Les hommes ont subi comme les femmes l'influence de la croyance qui les déprime tous à divers degrés, mais chez eux les effets ont été moindres et assez différents. Il en est en effet qui ressentent absolument les mêmes douleurs que les femmes ; comme elles, ils ont des suffocations, éprouvent un sentiment de strangulation et accusent la sensation de la boule hystérique, mais aucun n'est allé jusqu'aux convulsions ; et s'il y a eu quelques rares exemples d'accidents convulsifs, ils peuvent presque toujours être attribués à un état morbide antérieur et différent. L'unique représentant du sexe masculin qui paraisse avoir eu réellement des crises de la même nature que celles des filles, est le jeune T… Ce sont généralement les jeunes filles de quinze à vingt-cinq ans qui ont été atteintes ; dans l'autre sexe, au contraire, à l'exception de cet enfant T…, ce ne sont à peu près, dans la mesure que je viens de dire, que des hommes d'un âge mûr, auxquels les vicissitudes de la vie ont bien pu apporter d'autres préoccupations préexistantes, ou à ajouter à celles causées par la maladie. »

Après avoir discuté la plupart des faits extraordinaires racontés au sujet des malades de Morzines, et essayé de prouver l'état de dégénérescence physique et morale des habitants par suite d'affections héréditaires, M. Constant ajoute :

Il faut donc se tenir pour bien assuré que tout ce qui s'est dit à Morzines, une fois ramené à la vérité, se trouve considérablement réduit ; chacun a fait son conte et a voulu surpasser les autres conteurs. Ces exagérations se retrouvent dans toutes les relations des épidémies de ce genre. Quand bien même quelques faits seraient réels de tous points et échapperaient à toute interprétation, serait-ce un motif pour leur chercher une explication au delà des lois naturelles ? Autant vaudrait dire que tous les agents dont le mode d'action reste à découvrir, tout ce qui échappe à notre analyse est nécessairement surnaturel.

Tout ce qui s'est vu à Morzines, tout ce qui s'est raconté surtout, pourra bien, pour quelques personnes, rester le signe manifeste d'une possession, mais c'est aussi très certainement celui de cette maladie complexe qui a reçu le nom d'hystéro-démonomanie.

En résumé, on vient de voir un pays dont le climat est rude et la température très variable, où l'hystérie a été de tout temps réputée endémique ; une population dont la nourriture, toujours la même pour tous, plus pauvres ou moins pauvres, et toujours mauvaise, est composée d'aliments souvent altérés, qui peuvent provoquer et provoquent des dérangements dans les fonctions des organes de la nutrition, et par là des névroses particulières ; une population d'une constitution peu robuste et spéciale, souvent entachée de prédispositions héréditaires ; ignorante et vivant dans un isolement à peu près complet ; très pieuse, mais d'une piété qui a pour base la crainte plus que l'espérance ; très superstitieuse, et dont la superstition, cette plaie que saint Thomas appelait un vice opposé à la religion par excès, a été plus caressée que combattue ; bercée par des contes de sorcellerie qui sont, en dehors des cérémonies de l'Église, la seule distraction que n'a pu empêcher une sévérité religieuse exagérée ; d'une imagination vive, très impressionnable, qui aurait besoin de quelque aliment, et qui n'en a d'autre que ces mêmes cérémonies. »

Il nous reste à examiner les rapports qui peuvent exister entre les phénomènes décrits ci-dessus, et ceux qui se produisent dans les cas d'obsessions et de subjugations bien constatés, ce que chacun aura déjà sans doute remarqué, l'effet des moyens curatifs employés, les causes de l'inefficacité des exorcismes et les conditions dans lesquelles ils peuvent être utiles. C'est ce que nous ferons dans un prochain et dernier article.

En attendant, nous dirons avec M. Constant, qu'il n'est nul besoin d'aller chercher dans le surnaturel l'explication des effets inconnus ; nous sommes parfaitement d'accord avec lui sur ce point. Pour nous, les phénomènes spirites n'ont rien de surnaturel ; ils nous révèlent une des lois, une des forces de la nature que l'on ne connaissait pas et qui produit des effets jusqu'alors inexpliqués. Cette loi, qui ressort des faits et de I'observation, est-elle donc plus déraisonnable parce qu'elle a pour promoteurs des êtres intelligents plutôt que des bêtes ou la matière brute ? Est-il donc si insensé de croire à des intelligences actives au delà de la tombe, quand surtout elles se manifestent d'une manière ostensible ? La connaissance de cette loi, en ramenant certains effets à leur cause véritable, simple et naturelle, est le meilleur antidote des idées superstitieuses.





[1] Brochure in-8°, chez Adrien Delahaye, place de l'Ecole-de-Médecine. – Prix : 2 fr.



Résultat de la lecture des ouvrages spirites

Lettres de MM. Michel de Lyon, et D… d'Albi

Comme réponse à l'opinion de M. le docteur Constant touchant l'effet que doit produire la lecture des ouvrages spirites, nous publions ci-après deux lettres entre des milliers de même nature qui nous sont adressées. Son avis, comme on l'a pu voir dans l'article précédent, est que cet effet doit être inévitablement de faire prompte justice de la prétendue science du Spiritisme, et c'est à ce titre qu'il en recommande la lecture. Or, voici plus de six ans qu'on lit ces ouvrages, et, chose fâcheuse pour sa perspicacité, justice n'a point encore été faite !



Albi, 6 mars 1863.

Monsieur Allan Kardec,

Je sais que je ne dois pas abuser de votre temps précieux ; aussi je me prive du bonheur de m'entretenir longuement avec vous. Je vous dirai que je regrette amèrement de ne pas avoir connu plus tôt votre admirable doctrine, car je sens que j'aurais été un tout autre homme, et cependant je ne suis pas médium, ni ne cherche pas à le devenir encore, ayant de graves ennuis qui m'obsèdent sans cesse. J'ai un passé déplorable d'insouciance ; je suis venu jusqu'à l'âge de quarante-neuf ans sans savoir une seule prière ; depuis que je vous ai lu, je prie le soir toujours, quelquefois le matin, et surtout pour mes ennemis. Votre doctrine m'a sauvé de beaucoup de choses, et me fait supporter les revers avec résignation.

Combien je vous serais reconnaissant, cher monsieur, si vous voulez bien prier quelquefois pour moi !

Veuillez agréer, etc. D…


Lyon, le 9 mars 1863.

Mon cher maître,

Je dois commencer en vous demandant doublement pardon, d'abord, pour avoir différé si longtemps l'accomplissement d'un devoir de cette nature ; et ensuite, pour la liberté que je prends, sans avoir l'honneur d'être connu de vous, de vous entretenir de choses qui me sont en quelque sorte entièrement personnelles.

Cette considération m'oblige à être aussi bref que possible pour ne point abuser de votre bonté, ni vous faire perdre pour moi seul un temps que vous pourriez plus utilement employer pour le bien général.



Depuis six mois que j'ai le bonheur d'être initié à la doctrine spirite, j'ai senti naître en moi un vif sentiment de reconnaissance. Ce sentiment n'est, du reste, qu'une conséquence bien naturelle de la croyance au Spiritisme ; et, puisqu'il a sa raison d'être, il doit également se manifester. Selon moi, il doit se diviser en trois parts dont la première à Dieu, que chaque jour tout vrai Spirite doit remercier de cette nouvelle preuve de miséricorde infinie ; la seconde appartient de droit au Spiritisme lui-même, c'est-à-dire aux bons Esprits et à leurs sublimes enseignements ; et enfin la troisième est acquise à celui qui nous guide dans la nouvelle voie et que nous sommes heureux de reconnaître pour notre maître vénéré.

La reconnaissance spirite ainsi comprise, impose donc trois devoirs bien distincts : envers Dieu, les bons Esprits et le propagateur de leurs enseignements. J'ai l'espoir de m'acquitter envers Dieu en lui demandant pardon de mes erreurs passées, et en continuant à le prier chaque jour ; j'essayerai de payer ma dette au Spiritisme en répandant autour de moi, autant que cela est en mon faible pouvoir, les bienfaits de l'instruction spirite ; et le but de cette lettre est de vous témoigner, monsieur, le vif désir que j'éprouvais de m'acquitter envers vous, ce que je m'accuse de faire si tardivement. Je fais donc appel à votre charité, et vous prie d'agréer cet hommage sincère d'une reconnaissance sans bornes.

M'associant de cœur à ceux qui m'ont précédé, je viens vous dire : Merci à vous qui nous avez tirés de l'erreur en faisant rayonner sur nous le flambeau de la vérité ; merci à vous qui nous avez fait connaître les moyens d'arriver au vrai bonheur par la pratique du bien ; merci à vous qui n'avez pas craint d'entrer le premier dans la lutte.

L'avènement du Spiritisme au dix-neuvième siècle, à une époque où l'égoïsme et le matérialisme semblent se partager l'empire du monde, est un fait trop important et trop extraordinaire pour ne pas provoquer l'admiration ou l'étonnement des personnes sérieuses et des esprits observateurs. Ce fait reste complètement inexplicable pour ceux qui refusent de reconnaître l'intervention divine dans la marche des grands événements qui s'accomplissent parmi nous et souvent malgré nous.

Mais, un fait non moins surprenant, c'est qu'il se soit trouvé à cette même époque d'incrédulité un homme assez croyant, assez hardi, pour sortir de la foule, pour abandonner le courant et annoncer une doctrine qui devait le mettre en désaccord avec le plus grand nombre, son but étant de combattre et de renverser les préjugés, les abus et les erreurs de la foule, et enfin de prêcher la foi aux matérialistes, la charité aux égoïstes, la modération aux fanatiques, la vérité à tous.

Ce fait aujourd'hui est accompli ; donc il n'était pas impossible ; mais, pour l'accomplir, il fallait un courage que la foi seule peut donner. Voilà ce qui cause notre admiration.

Un semblable dévouement, mon cher maître, ne pouvait pas rester infructueux ; aussi, dès à présent, vous pouvez commencer à recevoir la récompense de vos labeurs en contemplant le triomphe de la doctrine que vous avez enseignée.

Sans vous préoccuper du nombre et de la force de vos adversaires, vous êtes descendu seul dans l'arène, et vous n'avez opposé aux railleries injurieuses qu'une inaltérable sérénité, aux attaques et aux ca1omnies que la modération ; aussi, en peu de temps le Spiritisme s'est propagé dans toutes les parties du monde ; ses adeptes se comptent aujourd'hui par millions, et, chose plus satisfaisante encore, se recrutent à tous les degrés de l'échelle sociale. Riches et pauvres, ignorants et savants, libres penseurs et puritains, tous ont répondu à l'appel du Spiritisme, et chaque classe s'est empressée de fournir son contingent dans cette grande croisade de l'intelligence… Lutte sublime ! où le vaincu est fier de proclamer sa défaite, et plus fier encore de pouvoir combattre sous le drapeau des vainqueurs.

Cette victoire ne fait pas seulement honneur à celui qui l'a remportée, elle atteste aussi la justesse de la cause, c'est-à-dire la supériorité de la doctrine spirite sur toutes celles qui l'ont devancée, et par conséquent, son origine toute divine. Pour l'adepte fervent, ce fait ne peut être révoqué en doute, et le Spiritisme ne peut pas être l'œuvre de quelques cerveaux en démence, comme ses détracteurs ont essayé de le démontrer. Il est impossible que le Spiritisme soit une œuvre humaine ; il doit être et il est, en effet, une révélation divine. S'il n'en était pas ainsi, il aurait déjà succombé et il serait demeuré impuissant devant l'indifférence et le matérialisme.

Toute science humaine est systématique dans son essence, et par cela même sujette à erreur ; c'est pourquoi elle ne peut être admise que par un petit nombre d'individus qui, par ignorance ou par calcul, en propagent les croyances erronées qui tombent d'elles-mêmes après quelque temps d'épreuve. Le temps et la raison ont toujours fait justice des doctrines abusives et dénuées de fondement. Nulle science, nulle doctrine ne peut prétendre à la stabilité si elle ne possède, dans son ensemble comme dans ses moindres détails, cette émanation pure et divine que nous avons nommée la vérité ; car la vérité est seule immuable comme le Créateur qui en est la source.

Nous en trouvons un exemple bien consolant dans les divines paroles du Christ, que le saint Evangile, malgré sa longue et aventureuse pérégrination, nous a transmises aussi suaves, aussi pures qu'elles l'étaient en tombant de la bouche du divin Rénovateur.

Après dix-huit siècles d'existence, la doctrine du Christ nous paraît tout aussi lumineuse qu'au temps de sa naissance. Malgré les fausses interprétations des uns, les persécutions des autres, quoique peu pratiquée de nos jours, elle n'en est pas moins restée fortement enracinée dans le souvenir des hommes. La doctrine du Christ est donc une base inébranlable contre laquelle les passions humaines viennent sans cesse se briser. Comme la vague impuissante se brise sur le rocher, les tempêtes de l'erreur s'épuisent en vains efforts contre ce phare de la vérité. Le Spiritisme étant la confirmation, le complément de cette doctrine, il est donc juste de dire qu'il deviendra un monument indestructible, puisqu'il a Dieu pour principe et la vérité pour base.

De même que nous sommes heureux de prédire sa longue destinée, nous entrevoyons avec bonheur le moment où il deviendra la croyance universelle. Ce moment ne saurait être bien éloigné, car les hommes ne sauraient tarder à comprendre qu'il n'est pas de bonheur possible ici-bas sans la fraternité. Ils comprendront aussi que le mot vertu ne doit pas seulement errer sur les lèvres, mais qu'il doit se graver profondément dans les cœurs ; ils comprendront enfin que celui qui prend à tâche de prêcher la morale doit avant tout, doit surtout, la prêcher par l'exemple.

Je m'arrête, mon cher maître, la grandeur du sujet m'entraîne à des hauteurs où il m'est impossible de me maintenir. Des mains plus habiles que la mienne ont déjà dépeint sous de vives couleurs ce touchant tableau, que ma plume ignorante essaye en vain d'esquisser. Pardonnez-moi, je vous prie, de vous avoir si longuement entretenu de mes propres sentiments ; mais j'éprouvais un désir invincible de m'épancher dans le sein même de celui qui avait rendu le calme à mon âme, en remplaçant le doute qui la torturait depuis quinze ans, par une certitude consolatrice !

J'ai été tour à tour catholique fervent, fataliste, matérialiste, philosophe résigné ; mais, j'en rends grâce à Dieu, je ne fus jamais athée. Je maugréais contre la Providence sans cependant jamais nier Dieu. Les flammes de l'enfer s'étaient éteintes depuis longtemps pour moi, et pourtant mon Esprit n'était pas tranquille sur son avenir. Les jouissances célestes préconisées par l'Église n'avaient pas assez d'attraits pour m'exhorter à la vertu, et pourtant ma conscience approuvait bien rarement ma conduite. J'étais dans un doute continuel. M'appropriant cette pensée d'un grand philosophe : « La conscience a été donnée à l'homme pour le vexer, » j'en étais arrivé à cette conclusion, que l'homme doit éviter avec soin tout ce qui peut le brouiller avec sa conscience. Ainsi, j'aurais évité de commettre quelque grande faute, parce que ma conscience s'y opposait ; j'aurais accompli quelques bonnes œuvres pour ressentir la satisfaction qu'elles procurent ; mais je n'entrevoyais rien au-delà. La nature m'avait tiré du néant, la mort devait me rendre au néant ! Cette pensée me plongeait souvent dans une tristesse profonde, mais j'avais beau consulter, beau chercher, rien ne pouvait me donner le mot de l'énigme. Les disproportions sociales me choquaient, et je me demandais souvent pourquoi j'étais né au bas de l'échelle où je me trouvais si mal placé. A cela, ne pouvant répondre, je disais : Le hasard.

Une considération d'un autre genre me faisait prendre le néant en horreur ! A quoi bon s'instruire ? Pour briller dans un salon ?… il faut de la fortune ; pour devenir un poète, un grand écrivain ?… il faut un talent naturel. Mais pour moi, simple artisan, destiné peut-être à mourir sur l'établi auquel je suis attaché par la nécessité de gagner mon pain de chaque jour… à quoi bon m'instruire ?… Je ne sais presque rien et c'est beaucoup de trop ; puisque mon savoir ne me sert à rien pendant ma vie et qu'il doit s'éteindre en mourant. Cette pensée s'est présentée bien souvent à mon esprit ; j'en étais arrivé à maudire cette instruction que l'on donne gratis au fils de l'ouvrier. Cette instruction, quoique bien exiguë, bien incomplète, me semblait superflue et elle me paraissait non seulement nuisible au bonheur du pauvre, mais incompatible avec les exigences de sa condition. C'était, selon moi, une calamité de plus pour le pauvre, puisqu'elle lui faisait comprendre l'importance du mal sans lui en indiquer le remède. Il est facile de s'expliquer les souffrances morales d'un homme qui, sentant battre un noble cœur dans sa poitrine, est obligé de courber son intelligence sous la volonté d'un individu dont une poignée d'écus souvent mal acquis fait quelquefois tout le mérite et tout le savoir.

C'est alors qu'il faut faire appel à la philosophie ; et en regardant au haut de l'échelle on se dit : L'argent ne fait pas le bonheur ; puis, en regardant en bas, on aperçoit des gens dans une position inférieure à la sienne, et on ajoute : Prenons patience, il y en a de plus à plaindre que nous. Mais si cette philosophie donne quelquefois la résignation, elle ne produit jamais le bonheur.

J'étais dans cette situation lorsque le Spiritisme est venu me tirer du bourbier d'épreuves et d'incertitudes où je m'enfonçais de plus en plus malgré tous les efforts que je faisais pour en sortir.

Pendant deux ans j'entendis parler de Spiritisme sans y apporter une attention sérieuse ; je croyais, d'après le dire de ses adversaires, qu'une jonglerie nouvelle s'était glissée parmi les autres. Mais, fatigué enfin d'entendre parler d'une chose dont je ne connaissais réellement que le nom, je résolus de m'instruire. Je me procurai donc le Livre des Esprits et celui des Médiums. Je lus ou plutôt je dévorai ces deux ouvrages avec une avidité et une satisfaction qu'il m'est impossible de définir. Quelle fut ma surprise, en jetant les yeux sur les premières pages, de voir qu'il s'agissait de philosophie morale et religieuse, quand je m'attendais à lire un traité de magie accompagné de récits merveilleux ! Bientôt la surprise fit place à la conviction et à la reconnaissance. Lorsque j'eus achevé ma lecture, je m'aperçus avec bonheur que j'étais Spirite depuis longtemps. Je remerciai Dieu qui m'accordait cette insigne faveur. Désormais je pourrai prier sans craindre que mes prières se perdent dans l'espace, et je supporterai avec joie les tribulations de cette courte existence, sachant que ma misère actuelle n'est qu'une juste conséquence d'un passé coupable ou une période d'épreuve pour atteindre un avenir meilleur. Plus de doute ! la justice et la logique nous dévoilent la vérité ; et nous acclamons avec bonheur cette bienfaitrice de l'humanité.

Il est presque inutile de vous dire, mon cher maître, combien était grand mon désir de devenir médium ; aussi ai-je étudié avec une grande persévérance. Après quelques jours d'observation, je reconnus que j'étais médium intuitif ; mon désir n'était accompli qu'à demi, puisque je désirais vivement devenir médium mécanique.

La médiumnité intuitive laisse longtemps du doute dans l'esprit de celui qui la possède. J'ai dû, pour dissiper tous mes scrupules à cet égard, assister à quelques séances de Spiritisme, afin de pouvoir établir une comparaison entre ma médiumnité et celle des autres médiums. C'est alors que je compris la justesse de votre recommandation qui prescrit de lire avant de voir, si l'on veut être convaincu ; car, je peux vous le dire franchement, je ne vis rien de convaincant pour un incrédule. J'aurais beaucoup donné alors pour pouvoir être admis au nombre de ceux que la Providence a placés sous la direction immédiate de notre chef bien-aimé, parce que je pensais que les preuves devaient être plus palpables, plus fréquentes dans la société que vous présidez. Néanmoins je ne m'en tins pas là, et j'invitai plusieurs médiums écrivains, voyants et dessinateurs à se réunir à moi pour travailler en commun. C'est alors que j'eus le bonheur d'être témoin des faits les plus surprenants et d'obtenir les preuves les plus évidentes de la bonté et de la vérité du Spiritisme. Pour la seconde fois j'étais convaincu !

Je joins à cette lettre déjà bien longue quelques-unes de mes communications ; je serais heureux, mon cher maître, s'il vous était possible d'y jeter un coup d'œil et d'en juger la valeur. Au point de vue moral, je les crois irréprochables ; mais au point de vue littéraire… n'étant pas apte à les juger moi-même, je m'abstiens de toute appréciation. Si, contre mon attente, vous trouviez quelques fragments assez passables pour être livrés à la publicité, je vous prie d'en disposer à votre convenance, et ce serait pour moi un bien grand bonheur d'avoir apporté ma petite pierre à la construction du grand édifice.

J'attacherais un bien grand prix à une réponse de votre main, mon cher maître, mais je n'ose la solliciter, sachant l'impossibilité matérielle où vous êtes de répondre à toutes les lettres qui vous sont adressées. Je termine en vous priant de me pardonner cette extrême liberté, espérant que vous voudrez bien croire à la sincérité de celui qui a l'honneur de se dire un de vos plus fervents admirateurs et votre très humble serviteur.

Michel,

Rue Bouteille, 25, à Lyon.

Les sermons se suivent et ne se ressemblent pas

On nous écrit de Chauny, 7 mars 1863 :


« Monsieur,

Je viens essayer de vous donner l'analyse d'un sermon qui nous a été prêché hier par M. l'abbé X…, étranger à notre paroisse. Ce prêtre, qui est, du reste, un très bon prédicateur, nous a expliqué, autant qu'il est possible de le faire, ce qu'est Dieu et ce que sont les Esprits. Il ne devait pas ignorer qu'il avait un très grand nombre de Spirites dans son auditoire, aussi avons-nous éprouvé une bien vive satisfaction d'entendre parler des Esprits et de leurs rapports avec les vivants.

Je ne m'explique pas autrement, a-t-il dit, tous les faits miraculeux, toutes les visions, tous les pressentiments, que par le contact de ceux qui nous sont chers et qui nous ont précédés dans la tombe ; et si je ne craignais de soulever un voile trop mystérieux, ou de vous parler de choses qui ne seraient pas comprises par tous, je m'étendrais bien longuement sur ce sujet. Je me sens inspiré, et, obéissant à la voix de ma conscience, je ne saurais trop vous engager à garder bon souvenir de mes paroles : Croire en ce Dieu de qui tous les Esprits émanent, et en qui nous devons tous nous réunir un jour.

Ce sermon, monsieur, dit un avec un accent de douceur, de bienveillance et de conviction, allait au cœur bien mieux que les discours furieux où l'on cherche en vain la charité prêchée par le Christ ; il était à la portée de toutes les intelligences ; aussi tous l'ont compris et sont sortis réconfortés, au lieu d'être découragés et attristés par les tableaux de l'enfer et des peines éternelles, et tant d'autres sujets en contradiction avec la saine raison.

Agréez, etc.
V… »



Ce sermon, Dieu merci, n'est pas le seul de ce genre ; on nous en signale plusieurs autres dans le même sens, plus ou moins accentués, qui ont été prêchés à Paris et dans les départements ; et, chose bizarre, dans un sens diamétralement opposé, prêchés le même jour dans la même ville, et presque à la même heure. Cela n'a rien de surprenant, parce qu'il y a beaucoup d'ecclésiastiques éclairés qui comprennent que la religion ne peut que perdre de son autorité à s'inscrire en faux contre l'irrésistible marche des choses, et que, comme toutes les institutions, elle doit suivre le progrès des idées, sous peine de recevoir plus tard le démenti des faits accomplis. Or, quant au Spiritisme, il est impossible que beaucoup de ces messieurs n'aient pas été à même de se convaincre par eux-mêmes de la réalité des choses ; nous en connaissons personnellement plus d'un dans ce cas. L'un d'eux nous disait un jour : « On peut m'interdire de parler en faveur du Spiritisme, mais m'obliger à parler contre ma conviction, à dire que tout cela est l'œuvre du démon, quand j'ai la preuve matérielle du contraire, c'est ce que je ne ferai jamais. »

De cette divergence d'opinion, il ressort un fait capital, c'est que la doctrine exclusive du diable est une opinion individuelle qui devra nécessairement fléchir devant l'expérience et l'opinion générale. Que quelques-uns persistent dans leur idée jusque in extremis, c'est possible, mais ils passeront, et avec eux leurs paroles.



Suicide faussement attribué au Spiritisme

L'ardeur des adversaires à recueillir et surtout à dénaturer les faits qu'ils croient pouvoir compromettre le Spiritisme est vraiment incroyable ; c'est au point qu'il n'y aura bientôt plus un accident quelconque dont on ne le rende responsable.

Un fait regrettable s'est passé dernièrement à Tours et ne pouvait manquer d'être exploité par la critique, c'est le suicide de deux individus que l'on s'est efforcé d'attribuer au Spiritisme.

Le journal le Monde (ancien Univers religieux), et d'après lui plusieurs journaux, ont publié sur ce sujet un article dont nous extrayons les passages suivants :

« Deux époux fort avancés en âge, M. et madame ***, encore bien portants et jouissant d'un revenu qui leur permettait de vivre à l'aise, se livraient depuis bientôt deux ans aux opérations du Spiritisme. Presque chaque soir se réunissaient chez eux un certain nombre d'ouvriers, hommes et femmes, et des jeunes gens des deux sexes, devant lesquels nos deux Spirites faisaient leurs évocations, du moins ils prétendaient en faire.

Nous ne parlerons pas des questions de toute espèce dont on demandait la solution aux Esprits dans cette maison. Ceux qui connaissent ces deux personnes de vieille date et leurs sentiments sur la religion n'ont jamais été surpris des scènes qui pouvaient se produire chez elles. Etrangères à toute idée chrétienne, elles s'étaient jetées dans la magie, où elles passaient pour des maîtres habiles et consommés.

L'un et l'autre étaient convaincus depuis peu de temps que les Esprits les engageaient vivement à quitter la terre, afin de jouir dans un autre monde, le monde supra-terrestre, d'une plus grande somme de bonheur. Ne doutant pas en effet qu'il en serait ainsi, ils ont, avec le plus grand sang-froid, consommé un double suicide qui fait aujourd'hui un grand scandale dans la ville de Tours.

Ainsi c'est aujourd'hui le suicide que l'on a à constater comme résultat du Spiritisme et de sa doctrine ; hier c'étaient des cas de folie, sans parler des désordres domestiques et des autres désordres auxquels le Spiritisme a si souvent donné occasion. Cela ne suffit-il pas pour faire comprendre aux hommes qui ne veulent pas écouter la voix de la religion à quels dangers ils s'exposent en se livrant à ces ténébreuses et stupides pratiques ? »

Remarquons d'abord que si ces deux individus prétendaient faire des évocations, c'est qu'ils n'en faisaient pas de réelles ; qu'ils abusaient les autres ou s'abusaient eux-mêmes ; donc, s'ils ne faisaient pas des évocations réelles c'était une chimère, et les Esprits ne peuvent leur avoir donné de mauvais conseils.

Etaient-ils Spirites, c'est-à-dire Spirites de cœur ou de nom ? L'article constate qu'ils étaient étrangers à toute idée chrétienne ; de plus, qu'ils passaient pour maîtres habiles et consommés en fait de magie ; or, il est constant que le Spiritisme est inséparable des idées religieuses et surtout chrétiennes ; que la négation de celles-ci est la négation du Spiritisme ; qu'il condamne les pratiques de la magie, avec lesquelles il n'a rien de commun ; qu'il dénonce comme superstitieuse la croyance à la vertu des talismans, formules, signes cabalistiques et paroles sacramentelles ; donc ces personnes n'étaient pas Spirites, puisqu'elles étaient en contradiction avec les principes du Spiritisme. Pour rendre hommage à la vérité, nous dirons que, des renseignements pris, il résulte que ces personnes ne s'occupaient point de magie, et qu'on a sans doute voulu profiter de la circonstance pour accoler ce nom au Spiritisme.

L'article dit en outre que, chez eux, on faisait aux Esprits des questions de toute espèce. Le Spiritisme dit expressément qu'on ne peut adresser aux Esprits toutes sortes de questions ; qu'ils viennent pour nous instruire et nous rendre meilleurs, et non pour s'occuper des intérêts matériels ; que s'est se méprendre sur le but des manifestations que d'y voir un moyen de connaître l'avenir, de découvrir des trésors ou des héritages, de faire des inventions et des découvertes scientifiques pour s'illustrer ou s'enrichir sans travail ; en un mot, que les Esprits ne viennent pas dire la bonne aventure ; donc en faisant aux Esprits des questions de toute sorte, ce qui est très réel, ces individus prouvaient leur ignorance du but même du Spiritisme.

L'article ne dit pas qu'ils en fissent métier, et en effet cela n'était pas, autrement nous rappellerions ce qui a été dit cent fois au sujet de cette exploitation et de ses conséquences, dont le Spiritisme sérieux ne peut assumer la responsabilité légale ou autre, pas plus qu'il n'assume celle des excentricités de ceux qui ne le comprennent pas ; il ne prend la défense d'aucun des abus qui pourraient se commettre en son nom, par ceux qui en prendraient la forme ou le masque sans s'en assimiler les principes.

Une autre preuve que ces individus ignoraient un des points fondamentaux de la doctrine spirite, c'est que le Spiritisme prouve, non par une simple théorie morale, mais par des exemples nombreux et terribles, que le suicide est sévèrement puni ; que celui qui croit échapper aux misères de la vie par une mort volontaire anticipée sur les desseins de Dieu, tombe dans un état bien plus malheureux. Le Spirite sait donc, à n'en pouvoir douter, que, par le suicide, on échange un état mauvais passager contre un pire qui peut durer longtemps ; c'est ce qu'auraient su ces individus s'ils avaient connu le Spiritisme. L'auteur de l'article, en avançant que cette doctrine conduit au suicide, a donc parlé lui-même d'une chose qu'il ne connaissait pas.

Nous ne sommes nullement surpris du résultat produit par le bruit qu'on a fait de cet événement. En le présentant comme une conséquence de la doctrine spirite, on a piqué la curiosité, et chacun a voulu connaître par soi-même cette doctrine, sauf à la repousser si elle était telle qu'on la représentait ; or, on a reconnu qu'elle disait tout le contraire de ce qu'on lui faisait dire ; elle ne peut donc que gagner à être connue, ce dont nos adversaires semblent se charger avec une ardeur dont nous ne pouvons que leur savoir gré, sauf toutefois de l'intention. Si par leurs diatribes ils produisent une petite perturbation locale et momentanée, elle ne tarde pas à être suivie d'une recrudescence dans le nombre des adeptes ; c'est ce que l'on voit partout.

« Si donc, nous écrit-on de Tours, ces individus ont cru devoir mêler les Esprits à leur fatale résolution et à leurs excentricités bien connues, il est évident qu'ils n'ont rien compris au Spiritisme, et qu'on n'en peut tirer aucune conclusion contre la doctrine ; autrement il faudrait rendre les doctrines les plus sérieuses et les plus sacrées responsables des abus, des crimes même commis en leur nom par de pauvres insensés ou des fanatiques. La femme F… prétendait être médium, mais tous ceux qui l'ont entendue causer n'ont jamais pu la prendre au sérieux. Les idées très connues, l'exagération et les excentricités des deux époux et surtout de la femme, leur ont fait impitoyablement fermer les portes du cercle spirite de Tours, où ils n'ont pas été admis à une seule séance. »

Le journal précité n'a pas été mieux renseigné sur les véritables causes de ce suicide. Nous les puisons dans les pièces authentiques déposées chez un notaire de Tours, ainsi que dans une lettre qui nous est écrite à ce sujet par M. X…, avoué de cette ville.

Les époux F…, âgés, la femme de soixante-deux ans et le mari de quatre-vingts, loin d'être dans l'aisance, ont été poussés au suicide par la perspective de la misère seule. Ils avaient amassé une petite fortune dans un commerce de rouenneries à la Nouvelle-Orléans ; ruinés par des faillites, ils vinrent à Nantes, puis à Tours avec quelques débris de leur naufrage. Une rente viagère de 480 fr., qui était leur principale ressource, leur manqua en 1856 par suite d'une nouvelle faillite. Par trois fois déjà, et bien avant qu'il fût question du Spiritisme, ils avaient tenté de se suicider. Dans ces derniers temps, poursuivis par d'anciens créanciers, un procès malheureux avait achevé de les ruiner et de leur faire perdre le courage et la raison.

La lettre suivante, écrite par la femme F… avant sa mort, et qui se trouve au nombre des pièces ci-dessus relatées, et signées par le président du tribunal, ne varietur, en fait connaître le véritable motif. Nous la transcrivons textuellement avec l'orthographe originale :

« Monsieur et madame B…, avant de me rendre au ciel, je veux m'entendre avec vous une dernière fois, veuillez accepter mes dernier adieux, j'espère bien cependant que nous reverons, comme je parts avant vous, je vais retenir votre place pourquand le moment viendra, je veux vous faire part de notre projet, depuis nos adversités nous avons nourrit dans notre cœur, un chagrin qui n'a pu s'effacer, c'est plus qu'un ennuie, tout me devient à charge, j'ai constamment le cœur plein d'amertume, il faut que je vous dise que depuis six ans que l'affaire de notre maison rien n'est encore fini, il faudra peut-être rapporter encore deux mille francs comme nous voyons que nous n'en pourons sortir qu'avec de grandes privations qu'il faut toujours recommencer sans voir la fin, il faut en finir, maintenant nous sommes vieux les forces commencent à nous abandonner, le courage manque, la partie n'est plus égale, il faut en finir et nous arrêtons à détermination. Je vous prie bien d'agréer mes souhaits bien sincères. Fe F… »

Aujourd'hui, l'on sait à Tours à quoi s'en tenir sur les véritables causes de cet événement, et le bruit que l'on a fait à ce sujet tourne au profit du Spiritisme, car, dit notre correspondant, on en parle partout, on veut savoir au juste ce qu'il en est, et depuis ce moment les libraires de la ville ont vendu plus de livres spirites qu'ils n'avaient encore fait.

Il est vraiment curieux de voir le ton lamentable de quelques-uns, la colère furibonde de quelques autres, et au milieu de tout cela le Spiritisme poursuivre sa marche ascendante comme un soldat qui monte à l'assaut sans s'inquiéter de la mitraille. Les adversaires voyant la raillerie impuissante, après avoir dit que c'était un feu follet, disent maintenant que c'est un chien enragé.

Variétés

On lit dans le Siècle du 23 mars 1862 :

Les époux C…, demeurant rue Notre-Dame de Nazareth, avaient deux enfants, un petit garçon de quinze mois, et une petite fille de cinq ans qu'on ne voyait jamais, car personne ne pénétrait chez eux. Une fois seulement on l'avait aperçue attachée sous les aisselles et suspendue à une porte, et souvent on entendait des gémissements sortir de leur logement. Le bruit courut qu'elle était l'objet d'odieux traitements. Le commissaire de police se rendit chez eux et dut employer la force pour s'y introduire.

Un spectacle affreux s'offrit aux personnes qui entrèrent. La pauvre petite était sans chemise ni bas, couverte seulement d'une petite robe d'indienne d'une saleté repoussante. La chair des pieds avait fini par adhérer au cuir des souliers. Elle était assise sur un petit pot de nuit, adossée contre une caisse et maintenue par des cordes qui passaient dans les poignées de la caisse. Il résulte de l'enquête qu'elle était dans cette position depuis plusieurs mois, ce qui avait produit une hernie du rectum ; que les parents se levaient la nuit pour tourmenter leur victime ; ils l'éveillaient en la frappant, la femme avec des pincettes et le manche d'un plumeau, le mari avec une corde. Sur les remontrances du commissaire, le mari répondit : « Monsieur, je suis très religieux ; ma fille faisait mal ses prières, voilà pourquoi j'ai voulu la corriger. »

Que dirait l'auteur de l'article cité plus haut à propos des suicidés de Tours, si l'on imputait à la religion cette barbarie de gens qui se disent très religieux ? l'acte de cette mère qui tua ses cinq enfants pour les envoyer plus tôt au ciel ? celui de cette jeune servante qui, prenant à la lettre la maxime du Christ : « Si votre main droite vous scandalise, coupez votre main droite, » se coupa la main à coups de hache ? Il répondrait qu'il ne suffit pas de se dire religieux, mais qu'il faut l'être dans la bonne acception ; qu'il ne faut pas tirer une conséquence générale d'un fait isolé. Nous sommes de cet avis, et nous lui renvoyons cette réponse au sujet de ses imputations contre le Spiritisme, à propos des gens qui n'en prennent que le nom.

Les Esprits et le Spiritisme, par M. Flammarion. Extrait de la Revue française

Sous ce titre, M. Flammarion, l'auteur de la brochure sur la Pluralité des mondes habités, dont nous avons rendu compte dans notre numéro de janvier dernier, vient de publier dans la Revue française du mois de février 1863[1], un premier et très intéressant article dont nous donnons ci-après le début. Ce travail, qui lui a été demandé par la direction de ce journal, recueil littéraire important et très répandu, est un exposé de l'histoire et des principes du Spiritisme. Son étendue lui donne presque l'importance d'un ouvrage spécial, ce premier article n'ayant pas moins de vingt-trois pages grand in-8°. L'auteur a cru devoir faire, jusqu'à un certain point, abstraction de son opinion personnelle sur la question, et rester sur un terrain en quelque sorte neutre, en se renfermant dans un exposé impartial des faits, de manière à laisser au lecteur toute liberté d'appréciation. Il débute ainsi :

« Dans un siècle où la métaphysique est tombée de son haut piédestal, où l'idée religieuse a voulu se délivrer de tout dogme et de tout culte spécial, où la philosophie elle-même a changé son mode de raisonnement pour se rattacher au positivisme de la science expérimentale, une doctrine spiritualiste est venue s'offrir aux hommes, et ils l'ont reçue ; elle leur a proposé un symbole de croyance, et ils l'ont adopté ; elle leur a montré une nouvelle voie qui mène à des régions inexplorées, et ils s'y sont engagés, et voilà que cette doctrine, basée sur les manifestations des êtres invisibles, s'est élevée, à peine sortie du berceau, au-dessus des affections ordinaires de la vie, et s'est propagée universellement parmi les peuples de l'ancien et du nouveau monde. Qu'est-ce donc que ce souffle puissant sous l'impulsion duquel tant de têtes pensantes ont regardé le même point du ciel ?

Vaine utopie ou science réelle, leurre fantastique ou vérité profonde, l'événement est là sous nos yeux, et nous montre l'étendard du Spiritisme ralliant autour de lui des champions en grand nombre, comptant aujourd'hui ses défenseurs par millions. Et ce nombre prodigieux s'est formé dans l'espace restreint de dix années.

Nous avons donc un événement nouveau sous les yeux : c'est un fait incontestable. Or, quelle que soit d'ailleurs la frivolité ou l'importance de cet événement, il ne sera pas inutile de l'étudier en lui-même, afin de savoir s'il a droit de naissance parmi les enfants du progrès, si sa marche est parallèle au mouvement des idées progressives, ou s'il ne tendrait pas, comme quelques-uns le prétendent, à nous faire rétrograder vers des croyances surannées peu dignes d'être remises en honneur.

Et comme pour raisonner sur un sujet quelconque il importe avant tout de le bien connaître, afin de ne pas s'exposer à des appréciations erronées, nous allons successivement examiner sur quels faits le Spiritisme repose, sur quelle base on a construit la théorie de son enseignement et en quoi consiste sommairement cette science. Observons qu'il s'agit ici de faits et non point de systèmes spéculatifs, d'opinions hasardées ; car, quel que soit le merveilleux de la question qui nous occupe, le Spiritisme n'en est pas moins basé purement et simplement sur l'observation des faits. S'il en était autrement, s'il ne s'agissait que d'une nouvelle secte de religion, d'une nouvelle école de philosophie, nous tenons pour certain que cet événement perdrait beaucoup de son importance, et que les hommes sérieux de l'époque présente, disciples pour la plupart de la méthode baconienne, n'auraient point passé leur temps à l'examen d'une question de pure théorie. Assez d'utopies se sont inscrites sur le livre de la faiblesse humaine, pour que l'on ne cherche plus à recueillir les rêveries que des cerveaux exaltés conçoivent et font proclamer chaque jour.

Or nous allons, franchement et sans arrière-pensée, aborder cette science doctrinaire, de laquelle on a dit beaucoup de bien et beaucoup de mal, peut-être sans l'avoir assez étudiée. Dans cet exposé nous commencerons à l'origine de son histoire moderne, ‑ car le Spiritisme a son histoire ancienne, ‑ et nous ferons connaître les phénomènes successifs qui l'ont définitivement établie ; suivant l'ordre naturel des choses, nous examinerons l'effet avant de remonter à la cause. »

Suit l'historique des premières manifestations en Amérique, leur introduction en Europe, leur conversion en doctrine philosophique.




[1] Revue française, rue d'Amsterdam, 35. – 20 fr. par an. – Chaque livraison mensuelle de 120 pages, 2 fr.





Dissertations spirites

Carte de visite de M. Jobard

Société spirite de Paris, 9 janvier 1863. ‑ Médium, M. d'Ambel

Aujourd'hui, je viens vous rendre ma visite de bonne confraternité et en même temps vous présenter un vieux camarade de collège dont nos légions éthérées viennent de s'enrichir ; accueillez-le donc comme un nouveau et zélé partisan de la vérité nouvelle. Si de son vivant il ne fut pas un Spirite authentique, on peut affirmer qu'il ne se prononça jamais ouvertement contre nos croyances ; je dirai même que dans le fond de sa conscience il y voyait pour l'avenir la sauvegarde de toutes les religions. Plus d'une fois dans sa vie il eut l'insigne bonheur de ressentir l'illumination intérieure qui lui montrait le chemin de la vérité quand l'incertitude était sur le point d'envahir son âme ; aussi, quand nous échangeâmes, il y a à peine quelques heures, nos fraternelles poignées de main, me dit-il avec son doux sourire : Ami, vous aviez raison !

S'il ne s'est pas prêté au développement de nos idées, c'est que l'intuition médianimique qui agissait sur lui lui donnait à entendre que l'heure ni le moment n'étaient venus, et qu'il y aurait eu danger à le faire au milieu des graves complications de son ministère et parmi un troupeau aussi difficile à diriger que le sien.

Aujourd'hui, qu'il est délivré des soucis de la vie terrestre, il est on ne peut plus heureux d'assister à une de vos séances ; car déjà depuis longtemps il avait cette ambition de venir s'asseoir au milieu de vous. Bien souvent il a eu l'envie de visiter notre cher président, pour lequel il avait une estime toute particulière, en appréciant combien ses livres et ses enseignements ramenaient d'âmes, sinon dans le sein de l'Église, du moins à la croyance et au respect de Dieu et à la certitude de l'immortalité. Cependant je dois le dire, lorsque je fus le visiter, tout en me recevant avec l'effusion d'un ancien condisciple, il avait opposé à mon zèle, peut-être exagéré, de le convertir, la fameuse raison d'Etat, devant laquelle je dus m'incliner. Néanmoins, en me reconduisant il me dit ces paroles sympathiques : Si non e vero e bene trovato !

Maintenant qu'il est venu se joindre à nos phalanges, et que les mêmes scrupules ne le retiennent plus, il fait des vœux pour le succès de notre œuvre, et envisage avec bonheur l'avenir qu'elle promet à l'humanité ; il contemple avec une joie ineffable la terre promise aux nouvelles générations, ou plutôt aux vieilles générations qui ont déjà tant lutté, et prévoit l'heure bénie où ses successeurs arboreront résolument ce nouveau drapeau de la foi gallicane : le Spiritisme !

Quoi qu'il en soit, mon cher président et mes bien-aimés confrères, j'ai eu l'honneur de recevoir aux portes de la vie ce vénérable ami, et je suis fier de le présenter au milieu de vous ; il me charge de vous assurer de toutes ses sympathies et de vous dire qu'il suivra avec beaucoup d'intérêt vos travaux et vos études. Au bonheur d'être son interprète auprès de vous je joins celui de vous présenter les félicitations d'une légion de grands Esprits qui suivent assidûment vos séances ; je vous apporte donc en mon nom et au leur le tribut de notre estime et les vœux que nous formons pour le succès de la grande cause.

Allons ! avant peu la terre ne comptera plus parmi ses habitants que quelques rares humanimaux. Je serre la main d'Allan Kardec au nom de tous vos amis d'outre-tombe, au nombre desquels je vous prie de me compter comme un des plus dévoués.

Jobard.


Soyes sivères pour vous et indulgentes pour vos frères. - 1re Homélie

Société spirite de Paris, 9 janvier 1863. ‑ Médium, M. d'Ambel


C'est la première fois que je viens m'entretenir avec vous, mes chers enfants ; j'aurais voulu choisir un médium plus sympathique aux sentiments qui ont été le mobile de toute ma vie terrestre et plus apte à me prêter un concours religieux ; mais puisque saint Augustin s'est depuis longtemps emparé du médium dont les matériaux cérébraux m'eussent été plus utiles, et vers lequel je me sentais porté, je m'adresse à vous par celui dont mon excellent condisciple Jobard s'est servi pour me présenter au milieu de votre philosophique société. J'aurai donc beaucoup de peine à exprimer, aujourd'hui, ce que je veux vous dire : d'abord, en raison de la difficulté que j'éprouve à manipuler la matière médiane, n'ayant point encore l'habitude de cette propriété de mon être désincarné ; et ensuite de celle que j'ai à faire jaillir mes idées d'un cerveau qui ne les admet pas toutes. Cela dit, j'aborde mon sujet.

Un spirituel bossu de l'antiquité disait que les hommes de son temps portaient une double besace, dont la poche de derrière contenait leurs défauts et leurs imperfections, tandis que la poche de devant recevait tous les défauts d'autrui ; c'est ce que plus tard l'Evangile rappela par l'allégorie de la paille et de la poutre dans l'œil. Mon Dieu ! mes enfants, il serait bien temps que les sacs de la besace changeassent de place ; et il appartient aux Spirites sincères d'opérer cette modification en portant devant eux la poche qui contient leurs propres imperfections, afin que les ayant continuellement sous les yeux, ils arrivent à s'en corriger, et celle qui contient les défauts d'autrui de l'autre côté, afin de ne plus y attacher une volonté jalouse et railleuse. Ah ! comme il sera digne de la doctrine que vous confessez et qui doit régénérer l'humanité de voir ses adeptes sincères et convaincus agir avec cette charité qu'ils proclament et qui leur commande de ne plus s'apercevoir de la paille qui gêne la vue de leur frère, et de s'occuper au contraire avec ardeur à se débarrasser de la poutre qui les aveugle eux-mêmes. Hélas ! mes chers enfants, cette poutre est formée par le faisceau de vos tendances égoïstes, de vos mauvais penchants et de vos fautes accumulées pour lesquels jusqu'à présent vous avez, comme tous les hommes, professé une tolérance paternelle beaucoup trop grande pendant que la plupart du temps vous n'aviez qu'intolérance et sévérité pour les faiblesses de votre prochain. Je voudrais tellement vous voir tous délivrés de cette infirmité morale du reste des hommes, ô mes chers Spirites, que je vous convie de toutes mes forces à entrer dans la voie que je vous indique. Je sais bien que déjà beaucoup de vos côtés véniels se sont modifiés dans le sens de la vérité ; mais je vois encore tant de mollesse et tant d'indécision chez vous pour le bien absolu, que la distance qui vous sépare du troupeau des pécheurs endurcis et des matérialistes n'est pas si grande que le torrent ne puisse vous emporter encore. Ah ! il vous reste une rude étape à parcourir pour atteindre à la hauteur de la sainte et consolante doctrine que les Esprits mes frères vous révèlent déjà depuis plusieurs années.

Dans la vie militante dont, grâce en soit rendue au Seigneur, je viens de sortir, j'ai vu tant de mensonges s'affirmer comme des vérités, tant de vices s'afficher comme des vertus, que je suis heureux d'avoir quitté un milieu où presque toujours l'hypocrisie revêtait de son manteau les tristesses et les misères morales qui m'entouraient ; et je ne puis que vous féliciter de voir que vos rangs ne s'ouvrent pas facilement pour les séides de cette hypocrisie mensongère.

Mes amis, ne vous laissez jamais prendre aux paroles dorées ; voyez et sondez les actes avant d'ouvrir vos rangs à ceux qui sollicitent cet honneur, parce que beaucoup de faux frères chercheront à se mêler à vous afin d'apporter le trouble et de semer sourdement la division. Ma conscience me commande de vous éclairer, et je le fais dans toute la sincérité de mon cœur, sans me préoccuper de personne ; vous êtes avertis : agissez en conséquence désormais. Mais pour finir comme j'ai commencé, je vous prie en grâce, mes bien chers enfants, de vous occuper sérieusement de vous-mêmes, d'expulser de vos cœurs tous les germes impurs qui peuvent encore y être restés attachés, de vous réformer petit à petit, mais sans relâche, selon la saine morale spirite, et d'être enfin aussi sévères pour vous que vous devez être indulgents pour les faiblesses de vos frères.

Si cette première homélie laisse quelque chose à désirer par la forme, ne vous en prenez qu'à mon inexpérience de la médianimité ; je ferai mieux la première fois qu'il me sera permis de me communiquer dans votre milieu où je remercie mon ami Jobard de m'avoir patronné. Adieu, mes enfants, je vous bénis.


François-Nicolas Madeleine.


Fête de Noël

Société spirite de Tours, 24 décembre 1862. ‑ Médium, M. N…

C'est ce soir que, dans le monde chrétien, on fête la Nativité de l'Enfant Jésus ; mais vous, mes frères, vous devez aussi vous réjouir et fêter la naissance de la nouvelle doctrine spirite. Vous la verrez grandir comme cet enfant ; elle viendra, comme lui, éclairer les hommes et leur montrer le chemin qu'ils doivent parcourir. Bientôt vous verrez les rois, comme les mages, venir eux-mêmes demander à cette doctrine des secours qu'ils ne trouvent plus dans les anciennes idées. Ils ne vous apporteront plus l'encens et la myrrhe, mais ils se prosterneront de cœur devant les idées nouvelles du Spiritisme. Ne voyez-vous pas déjà briller l'étoile qui doit les guider ? Courage donc, mes frères ; courage, et bientôt vous pourrez avec le monde entier célébrer la grande fête de la régénération de l'humanité.

Mes frères, vous avez longtemps renfermé dans votre cœur le germe de cette doctrine ; mais aujourd'hui voilà qu'il apparaît au grand jour avec l'appui d'un tuteur solidement planté et qui ne laissera pas fléchir ses faibles branches ; avec ce soutien providentiel, il grandira de jour en jour et deviendra l'arbre de la création divine. De cet arbre vous récolterez des fruits que vous ne conserverez pas pour vous seuls, mais pour vos frères qui auront faim et soif de la foi sacrée. Oh ! alors, présentez-leur ce fruit, et criez-leur du fond de votre cœur : « Venez, venez partager avec nous ce qui nourrit notre esprit et allégit nos douleurs physiques et morales. »

Mais n'oubliez pas, mes frères, que Dieu vous a fait lever le premier germe ; que ce germe a crû, et qu'il est devenu déjà un arbre propre à rapporter son fruit. Il vous restera quelque chose à utiliser, ce
sont ces tiges que vous pourrez transplanter ; mais auparavant, voyez si le terrain auquel vous confiez ce germe ne cache pas sous sa couche apparente quelque ver rongeur qui pourrait dévorer ce que vous a confié le Maître.

Signé : Saint Louis.


Clôture de la souscription rouennaise

Clôture de la souscription rouennaise.

Montant de la liste publiée dans le numéro de mars. . . 2722 fr. 05c.

M .V Fourrier (Versailles), 10 f.; M .Lux (Dole), 2 f. 50; Madame D... (Paris), b h.; M. C. L... (Paris), 30 fr.; M. Blin, cap. (Marseille), 15 fr.; M. Derivis, pour le deuxième groupe spirito d'Albi, 16 fr. ; M. Berger (Cahors), 2 fr.; M. Cuvier (Ambroise), 14 fr.; M. V... (Bayonne), 10 fr., M. L. D... (Versailles), 2 fr.; Ma dame Borreau (Niort), 2 fr.; M. D... (Paris), 3 fr. . . . 111 50 )

Total. .... 2833fr. 55c.


Aux lecteurs de la REVUE

Les circonstances nous ont forcé, depuis quelque temps, de donner plus de développement aux articles de fond et de restreindre les communications spiriles, par la nécessité de certaines réfutations d'ac tualité. Nous allons bientôt pouvoir rétablir l'équilibre.

Nous tâchons assurément de mettre autant de variété que possible dans notre journal pour satisfaire tous les goûts et un peu toutes les prétentions, mais il est des choses qui passent avant tout; nous sommes heureux de voir que nous sommes généralement compris, et qu'on nous tient compte des complications de travail résultant de la lutte à soutenir et de l'extension incessante de la doctrine, étant au centre où aboutissent toutes les ramifications et les innombrables fils de ce réseau qui embrasse aujourd'hui le monde entier. Grâce à Dieu, nos efforts sont couronnés de succès» et, comme compensation à nos fatigues, les satisfactions morales ne nous font pas défaut.

ALLAN KARDEC.

Articles connexes

Voir articles connexes