Vous voulez, dites-vous, guérir votre siècle d'une manie qui menace
d'envahir le monde. Aimeriez-vous mieux que le monde fût envahi par
l'incrédulité que vous cherchez à propager ? N'est-ce pas à l'absence de
toute croyance qu'il faut attribuer le relâchement des liens de famille et
la plupart des désordres qui minent la société? En démontrant
l'existence et l'immortalité de l'âme, le spiritisme ranime la foi en
l'avenir, relève les courages abattus, fait supporter avec résignation les
vicissitudes de la vie ; oseriez-vous appeler cela un mal ? Deux doctrines
sont en présence : l'une qui nie l'avenir, l'autre qui le proclame et le
prouve ; l'une qui n'explique rien, l'autre qui explique tout et par cela
même s'adresse à la raison ; l'une est la sanction de l'égoïsme, l'autre
donne une base à la justice, à la charité et à l'amour de ses semblables ;
la première ne montre que le présent et anéantit toute espérance, la
seconde console et montre le vaste champ de l'avenir ; quelle est la plus
pernicieuse ?
Certaines gens, et parmi les plus sceptiques, se font les apôtres de la
fraternité et du progrès ; mais la fraternité suppose le désintéressement,
l'abnégation de la personnalité ; avec la véritable fraternité, l'orgueil est
une anomalie. De quel droit imposez-vous un sacrifice à celui à qui vous
dites que quand il est mort tout est fini pour lui ; que demain peut-être il
ne sera pas plus qu'une vieille machine disloquée et jetée à la borne ?
Quelle raison a-t-il de s'imposer une privation quelconque ? N'est-il pas
plus naturel que pendant les courts instants que vous lui accordez, il
cherche à vivre le mieux possible ? De là le désir de posséder beaucoup
pour mieux jouir ; de ce désir naît la jalousie contre ceux qui possèdent
plus que lui ; et de cette jalousie à l'envie de prendre ce qu'ils ont, il n'y a
qu'un pas. Qu'est-ce qui le retient ? Est-ce la loi ? Mais la loi n'atteint pas
tous les cas. Direz-vous que c'est la conscience, le sentiment du devoir ?
Mais sur quoi basez-vous le sentiment du devoir ? Ce sentiment a-t-il
une raison d'être avec la croyance que tout finit avec la vie ? Avec cette
croyance une seule maxime est rationnelle : chacun pour soi ; les idées
de fraternité, de conscience, de devoir, d'humanité, de progrès même, ne
sont que de vains mots. Oh! vous qui proclamez de semblables
doctrines, vous ne savez pas tout le mal que vous faites à la société, ni de
combien de crimes vous assumez la responsabilité ! Mais que parlé-je de
responsabilité ? Pour le sceptique, il n'y en a point ; il ne rend hommage
qu'à la matière.
IV
Le progrès de l'humanité a son principe dans l'application de la loi de
justice, d'amour et de charité ; cette loi est fondée sur la certitude de
l'avenir ; ôtez cette certitude, vous lui ôtez sa pierre fondamentale. De
cette loi dérivent toutes les autres, car elle renferme toutes les conditions
du bonheur de l'homme ; elle seule peut guérir les plaies de la société, et
il peut juger, par la comparaison des âges et
des peuples, combien sa
condition s'améliore à mesure que cette loi est mieux comprise et mieux
pratiquée. Si une application partielle et incomplète produit un bien réel,
que sera-ce donc quand il en aura fait la base de toutes ses institutions
sociales ! Cela est-il possible ? Oui ; car puisqu'il a fait dix pas, il peut
en faire vingt, et ainsi de suite. On peut donc juger de l'avenir par le
passé. Déjà, nous voyons s'éteindre peu à peu les antipathies de peuple à
peuple ; les barrières qui les séparaient s'abaissent devant la civilisation ;
ils se donnent la main d'un bout du monde à l'autre ; une plus grande
justice préside aux lois internationales ; les guerres deviennent de plus
en plus rares, et elles n'excluent point les sentiments d'humanité;
l'uniformité s'établit dans les relations ; les distinctions de races et de
castes s'effacent, et les hommes de croyances différentes font taire les
préjugés de sectes pour se confondre dans l'adoration d'un seul Dieu.
Nous parlons des peuples qui marchent à la tête de la civilisation (789–793). Sous tous ces rapports, on est encore loin de la perfection, et il y a
encore bien de vieilles ruines à abattre, jusqu'à ce qu'aient disparu les
derniers vestiges de la barbarie ; mais ces ruines pourront-elles tenir
contre la puissance irrésistible du progrès, contre cette force vive qui est
elle-même une loi de la nature ? Si la génération présente est plus
avancée que la génération passée, pourquoi celle qui nous succédera ne
le serait-elle pas plus que la nôtre ? Elle le sera par la force des choses ;
d'abord, parce qu'avec les générations s'éteignent chaque jour quelques
champions des vieux abus, et qu'ainsi la société se forme peu à peu
d'éléments nouveaux qui se sont dépouillés des vieux préjugés ; en
second lieu, parce que l'homme voulant le progrès, il étudie les obstacles
et s'attache à les renverser. Dès lors que le mouvement progressif est
incontestable, le progrès à venir ne saurait être douteux. L'homme veut
être heureux, c'est dans la nature ; or, il ne cherche le progrès que pour
augmenter la somme de son bonheur, sans cela le progrès serait sans
objet ; où serait le progrès pour lui, si ce progrès ne devait pas améliorer
sa position ? Mais quand il aura la somme de jouissances que peut
donner le progrès intellectuel, il s'apercevra qu'il n'a pas le bonheur
complet ; il reconnaîtra que ce bonheur est impossible sans la sécurité
des relations sociales ; et cette sécurité, il ne peut la trouver que dans le
progrès moral ; donc, par la force des choses, il poussera lui-même le
progrès dans cette voie, et le spiritisme lui offrira le plus puissant levier
pour atteindre ce but.
V
Ceux qui disent que les croyances spirites menacent d'envahir le
monde, en proclament par cela même la puissance, car une idée sans
fondement et dénuée de logique ne saurait devenir universelle ; si donc
le spiritisme s'implante partout, s'il se recrute surtout dans les classes
éclairées, ainsi que chacun le reconnaît, c'est qu'il a un fond de vérité.
Contre cette tendance, tous les efforts de ses détracteurs seront vains, et
ce qui le prouve, c'est que le ridicule même dont ils ont cherché à le
couvrir, loin d'en arrêter l'essor, semble lui avoir donné une nouvelle vie.
Ce résultat justifie pleinement ce que nous ont maintes fois dit les
Esprits : « Ne vous inquiétez pas de l'opposition ; tout ce que l'on fera
contre vous tournera pour vous, et
vos plus grands adversaires serviront
votre cause sans le vouloir
. Contre la volonté de Dieu, la mauvaise
volonté des hommes ne saurait prévaloir. »
Par le spiritisme, l'humanité doit entrer dans une phase nouvelle, celle
du progrès moral qui en est la conséquence inévitable. Cessez donc de
vous étonner de la rapidité avec laquelle se propagent les idées spirites ;
la cause en est dans la satisfaction qu'elles procurent à tous ceux qui les
approfondissent, et qui y voient autre chose qu'un futile passe-temps ; or,
comme on veut son bonheur avant tout, il n'est pas étonnant qu'on
s'attache à une idée qui rend heureux.
Le développement de ces idées présente trois périodes distinctes : la
première est celle de la curiosité provoquée par l'étrangeté des
phénomènes qui se sont produits ; la seconde celle du raisonnement et de
la philosophie ; la troisième celle de l'application et des conséquences.
La période de la curiosité est passée ; la curiosité n'a qu'un temps : une
fois satisfaite, on en quitte l'objet pour passer à un autre ; il n'en est pas
de même de ce qui s'adresse à la pensée sérieuse et au jugement. La
seconde période a commencé, la troisième suivra inévitablement. Le
spiritisme a surtout progressé depuis qu'il est mieux compris dans son
essence intime, depuis qu'on en voit la portée, parce qu'il touche à la corde la plus sensible de l'homme : celle de son bonheur, même en ce
monde ; là est la cause de sa propagation, le secret de la force qui le fera
triompher. Il rend heureux ceux qui le comprennent, en attendant que
son influence s'étende sur les masses. Celui même qui n'a été témoin
d'aucun phénomène matériel de manifestations se dit : en dehors de ces
phénomènes, il y a la philosophie ; cette philosophie m'explique ce que
NULLE autre ne m'avait expliqué ; j'y trouve, par le seul raisonnement,
une démonstration
rationnelle des problèmes qui intéressent au plus haut
point mon avenir ; elle me procure le calme, la sécurité, la confiance ;
elle me délivre du tourment de l'incertitude ; à côté de cela la question
des faits matériels est une question secondaire. Vous tous qui l'attaquez,
voulez-vous un moyen de le combattre avec succès? Le voici.
Remplacez-le par quelque chose de mieux ; trouvez une solution PLUS
PHILOSOPHIQUE à toutes les questions qu'il résout; donnez à
l'homme une AUTRE CERTITUDE qui le rende plus heureux, et
comprenez bien la portée de ce mot
certitude, car l'homme n'accepte
comme
certain que ce qui lui paraît
logique ; ne vous contentez pas de
dire cela n'est pas, c'est trop facile ; prouvez, non par une négation, mais
par des faits, que cela n'est pas, n'a jamais été et ne PEUT pas être ; si
cela n'est pas, dites surtout ce qu'il y aurait à la place ; prouvez enfin que
les conséquences du spiritisme ne sont pas de rendre les hommes
meilleurs, et partant plus heureux, par la pratique de la plus pure morale
évangélique, morale qu'on loue beaucoup, mais qu'on pratique si peu.
Quand vous aurez fait cela, vous aurez le droit de l'attaquer. Le
spiritisme est fort parce qu'il s'appuie sur les bases mêmes de la religion :
Dieu, l'âme, les peines et les récompenses futures ; parce que surtout il
montre ces peines et ces récompenses comme des conséquences
naturelles de la vie terrestre, et que rien, dans le tableau qu'il offre de
l'avenir, ne peut être désavoué par la raison la plus exigeante. Vous, dont
toute la doctrine consiste dans la négation de l'avenir, quelle
compensation offrez-vous pour les souffrances d'ici-bas ? Vous vous
appuyez sur l'incrédulité, il s'appuie sur la confiance en Dieu ; tandis
qu'il convie les hommes au bonheur, à l'espérance, à la véritable
fraternité, vous, vous lui offrez le NEANT pour perspective, et
l'EGOISME pour consolation ; il explique tout, vous n'expliquez rien ; il
prouve par les faits, et vous ne prouvez rien ; comment voulez-vous
qu'on balance entre les deux doctrines ?
VI
Ce serait se faire une bien fausse idée du spiritisme de croire qu'il
puise sa force dans la pratique des manifestations matérielles, et qu'ainsi
en entravant ces manifestations on peut le miner dans sa base. Sa force
est dans sa philosophie, dans l'appel qu'il fait à la raison, au bon sens.
Dans l'antiquité, il était l'objet d'études mystérieuses, soigneusement
cachées au vulgaire ; aujourd'hui, il n'a de secrets pour personne ; il parle
un langage clair, sans ambiguïté ; chez lui, rien de mystique, point
d'allégories susceptibles de fausses interprétations : il veut être compris
de tous, parce que le temps est venu de faire connaître la vérité aux
hommes ; loin de s'opposer à la diffusion de la lumière, il la veut pour
tout le monde ; il ne réclame pas une croyance aveugle, il veut que l'on
sache pourquoi l'on croit ; en s'appuyant sur la raison, il sera toujours
plus fort que ceux qui s'appuient sur le néant. Les entraves que l'on
tenterait d'apporter à la liberté des manifestations pourraient-elles les
étouffer ? Non, car elles produiraient l'effet de toutes les persécutions :
celui d'exciter la curiosité et le désir de connaître ce qui serait défendu.
D'un autre côté, si les manifestations spirites étaient le privilège d'un
seul homme, nul doute qu'en mettant cet homme de côté, on ne mit fin
aux manifestations ; malheureusement pour les adversaires, elles sont à
la disposition de tout le monde, et l'on en use depuis le plus petit
jusqu'au plus grand, depuis le palais jusqu'à la mansarde. On peut en
interdire l'exercice public ; mais on sait précisément que ce n'est pas en
public qu'elles se produisent le mieux : c'est dans l'intimité ; or, chacun
pouvant être médium, qui peut empêcher une famille dans son intérieur,
un individu dans le silence du cabinet, le prisonnier sous les verrous,
d'avoir des communications avec les Esprits, à l'insu et à la face même
des sbires ? Si on les interdit dans un pays, les empêchera-t-on dans les
pays voisins, dans le monde entier, puisqu'il n'y a pas une contrée, dans
les deux continents, où il n'y ait des médiums ? Pour incarcérer tous les
médiums, il faudrait incarcérer la moitié du genre humain ; en vînt-on
même, ce qui ne serait guère plus facile, à brûler tous les livres spirites,
que le lendemain ils seraient reproduits, parce que la source en est
inattaquable, et qu'on ne peut ni incarcérer ni brûler les Esprits qui en
sont les véritables auteurs.
Le spiritisme n'est pas l'oeuvre d'un homme ; nul ne peut s'en dire le
créateur, car il est aussi ancien que la création ; il se trouve partout, dans
toutes les religions et dans la religion catholique plus encore, et avec
plus d'autorité que dans toutes les autres, car on y trouve le principe de
tout : les Esprits de tous les degrés, leurs rapports occultes et patents
avec les hommes, les anges gardiens, la réincarnation, l'émancipation de
l'âme pendant la vie, la double vue, les visions, les manifestations de tout
genre, les apparitions et même les apparitions tangibles. A l'égard des
démons, ce ne sont autre chose que les mauvais Esprits et, sauf la
croyance que les premiers sont voués au mal à perpétuité, tandis que la
voie du progrès n'est pas interdite aux autres, il n'y a entre eux qu'une
différence de nom.
Que fait la science spirite moderne ? Elle rassemble en un corps ce qui
était épars ; elle explique en termes propres ce qui ne l'était qu'en
langage allégorique ; elle élague ce que la superstition et l'ignorance ont
enfanté pour ne laisser que la réalité et le positif : voilà son rôle ; mais
celui de fondatrice ne lui appartient pas ; elle montre ce qui est, elle
coordonne, mais elle ne crée rien, car ses bases sont de tous les temps et
de tous les lieux ; qui donc oserait se croire assez fort pour l'étouffer
sous les sarcasmes et même sous la persécution ? Si on la proscrit d'un
côté, elle renaîtra en d'autres lieux, sur le terrain même d'où on l'aura
bannie, parce qu'elle est dans la nature et qu'il n'est pas donné à l'homme
d'anéantir une puissance de la nature, ni de mettre son
veto sur les
décrets de Dieu.
Quel intérêt, du reste, aurait-on à entraver la propagation des idées
spirites ? Ces idées, il est vrai, s'élèvent contre les abus qui naissent de
l'orgueil et de l'égoïsme ; mais ces abus, dont quelques-uns profitent,
nuisent à la masse ; il aura donc pour lui la masse, et n'aura pour
adversaires sérieux que ceux qui sont intéressés à maintenir ces abus. Par
leur influence, au contraire, ces idées, rendant les hommes meilleurs les
uns pour les autres, moins avides des intérêts matériels et plus résignés
aux décrets de la Providence, sont un gage d'ordre et de tranquillité.
VII
Le spiritisme se présente sous trois aspects différents : le fait des
manifestations, les principes de philosophie et de morale qui en
découlent, et l'application de ces principes ; de là trois classes, ou plutôt
trois degrés parmi les adeptes : 1° ceux qui croient aux manifestations et
se bornent à les constater : c'est pour eux une science d'expérimentation ;
2° ceux qui en comprennent les conséquences morales ; 3° ceux qui
pratiquent ou s'efforcent de pratiquer cette morale. Quel que soit le point
de vue, scientifique ou moral, sous lequel on envisage ces phénomènes
étranges, chacun comprend que c'est tout un nouvel ordre d'idées qui
surgit, dont les conséquences ne peuvent être qu'une profonde
modification dans l'état de l'humanité, et chacun comprend aussi que
cette modification ne peut avoir lieu que dans le sens du bien.
Quant aux adversaires, on peut aussi les classer en trois catégories :
1° ceux qui nient par système tout ce qui est nouveau ou ne vient pas
d'eux, et qui en parlent sans connaissance de cause. A cette classe
appartiennent tous ceux qui n'admettent rien en dehors du témoignage
des sens ; ils n'ont rien vu, ne veulent rien voir, et encore moins
approfondir ; ils seraient même fâchés de voir trop clair, de peur d'être
forcés de convenir qu'ils n'ont pas raison ; pour eux, le spiritisme est une
chimère, une folie, une utopie, il n'existe pas : c'est plutôt dit. Ce sont les
incrédules de parti pris. A côté d'eux, on peut placer ceux qui ont daigné
jeter un coup d'oeil pour l'acquit de leur conscience, afin de pouvoir
dire : J'ai voulu voir et je n'ai rien vu ; ils ne comprennent pas qu'il faille
plus d'une demi-heure pour se rendre compte de toute une science. -
2° Ceux qui, sachant très bien à quoi s'en tenir sur la réalité des faits, les
combattent néanmoins par des motifs d'intérêt personnel. Pour eux, le
spiritisme existe, mais ils ont peur de ses conséquences ; ils l'attaquent
comme un ennemi. - 3° Ceux qui trouvent dans la morale spirite une
censure trop sévère de leurs actes ou de leurs tendances. Le spiritisme
pris au sérieux les gênerait ; ils ne rejettent ni n'approuvent : ils préfèrent
fermer les yeux. Les premiers sont sollicités par l'orgueil et la
présomption ; les seconds, par l'ambition ; les troisièmes, par l'égoïsme.
On conçoit que ces causes d'opposition, n'ayant rien de solide, doivent
disparaître avec le temps, car nous chercherions en vain une quatrième
classe d'antagonistes, celle qui s'appuierait sur des preuves contraires
patentes, et attestant une étude consciencieuse et laborieuse de la
question; tous n'opposent que la négation, aucun n'apporte de
démonstration sérieuse et irréfutable.
Ce serait trop présumer de la nature humaine de croire qu'elle puisse
se transformer subitement par les idées spirites. Leur action n'est
assurément ni la même, ni au même degré chez tous ceux qui les
professent ; mais, quel qu'il soit, le résultat, tant faible soit-il, est
toujours une amélioration, ne fût-ce que de donner la preuve de
l'existence d'un monde extra-corporel, ce qui implique la négation des
doctrines matérialistes. Ceci est la conséquence même de l'observation
des faits ; mais chez ceux qui comprennent le spiritisme philosophique et
y voient autre chose que des phénomènes plus ou moins curieux, il a
d'autres effets ; le premier, et le plus général, est de développer le
sentiment religieux chez celui même qui, sans être matérialiste, n'a que
de l'indifférence pour les choses spirituelles. Il en résulte chez lui le
mépris de la mort ; nous ne disons pas le désir de la mort, loin de là, car
le spirite défendra sa vie comme un autre, mais une indifférence qui fait
accepter, sans murmure et sans regret, une mort inévitable, comme une
chose plutôt heureuse que redoutable, par la certitude de l'état qui lui
succède. Le second effet, presque aussi général que le premier, est la
résignation dans les vicissitudes de la vie. Le spiritisme fait voir les
choses de si haut, que la vie terrestre perdant les trois quarts de son
importance, on ne s'affecte plus autant des tribulations qui
l'accompagnent : de là, plus de courage dans les afflictions, plus de
modération dans les désirs ; de là aussi l'éloignement de la pensée
d'abréger ses jours, car la science spirite apprend que, par le suicide, on
perd toujours ce qu'on voulait gagner. La certitude d'un avenir qu'il
dépend de nous de rendre heureux, la possibilité d'établir des rapports
avec des êtres qui nous sont chers, offrent au spirite une suprême
consolation; son horizon grandit jusqu'à l'infini par le spectacle
incessant qu'il a de la vie d'outre-tombe, dont il peut sonder les
mystérieuses profondeurs. Le troisième effet est d'exciter à l'indulgence
pour les défauts d'autrui ; mais, il faut bien le dire, le principe égoïste et
tout ce qui en découle sont ce qu'il y a de plus tenace en l'homme et, par
conséquent, de plus difficile à déraciner; on fait volontiers des
sacrifices, pourvu qu'ils ne coûtent rien, et surtout ne privent de rien ;
l'argent a encore pour le plus grand nombre un irrésistible attrait, et bien
peu comprennent le mot superflu, quand il s'agit de leur personne ; aussi,
l'abnégation de la personnalité est-elle le signe du progrès le plus
éminent.
VIII
Les Esprits, disent certaines personnes, nous enseignent-ils une morale
nouvelle, quelque chose de supérieur à ce qu'a dit le Christ ? Si cette
morale n'est autre que celle de l'Evangile, à quoi bon le spiritisme ? Ce
raisonnement ressemble singulièrement à celui du calife Omar parlant de
la bibliothèque d'Alexandrie : « Si elle ne contient, disait-il, que ce qu'il
y a dans le Koran, elle est inutile, donc il faut la brûler ; si elle renferme
autre chose, elle est mauvaise, donc il faut encore la brûler. » Non, le
spiritisme ne renferme pas une morale différente de celle de Jésus ; mais
nous demanderons à notre tour si, avant le Christ, les hommes n'avaient
pas la loi donnée par Dieu à Moïse ? Sa doctrine ne se trouve-t-elle pas
dans le Décalogue ? Dira-t-on, pour cela, que la morale de Jésus était
inutile ? Nous demanderons encore à ceux qui dénient l'utilité de la
morale spirite, pourquoi celle du Christ est si peu pratiquée, et pourquoi,
ceux-là mêmes qui en proclament à juste titre la sublimité sont les
premiers à violer la première de ses lois :
La charité universelle. Les
Esprits viennent non seulement la confirmer, mais ils nous en montrent
l'utilité pratique ; ils rendent intelligibles et patentes des vérités qui
n'avaient été enseignées que sous la forme allégorique ; et à côté de la
morale, ils viennent définir les problèmes les plus abstraits de la
psychologie.
Jésus est venu montrer aux hommes la route du vrai bien ; pourquoi
Dieu, qui l'avait envoyé pour rappeler sa loi méconnue, n'enverrait-il pas
aujourd'hui les Esprits pour la leur rappeler de nouveau et avec plus de
précision, alors qu'ils l'oublient pour tout sacrifier à l'orgueil et à la
cupidité ? Qui oserait poser des bornes à la puissance de Dieu et lui
tracer ses voies ? Qui dit que, comme l'affirment les Esprits, les temps
prédits ne sont pas accomplis, et que nous ne touchons pas à ceux où des
vérités mal comprises ou faussement interprétées doivent être
ostensiblement révélées au genre humain pour hâter son avancement ?
N'y a-t-il pas quelque chose de providentiel dans ces manifestations qui
se produisent simultanément sur tous les points du globe ? Ce n'est pas
un seul homme, un prophète qui vient nous avertir, c'est de partout que
la lumière surgit ; c'est tout un monde nouveau qui se déroule à nos
yeux. Comme l'invention du microscope nous a découvert le monde des
infiniment petits que nous ne soupçonnions pas ; comme le télescope
nous a découvert les milliers de mondes que nous ne soupçonnions pas
davantage, les communications spirites nous révèlent le monde invisible
qui nous entoure, nous coudoie sans cesse, et prend à notre insu part à
tout ce que nous faisons. Quelque temps encore, et l'existence de ce
monde, qui est celui qui nous attend, sera aussi incontestable que celle
du monde microscopique et des globes perdus dans l'espace. N'est-ce
donc rien que de nous avoir fait connaître tout un monde ; de nous avoir
initiés aux mystères de la vie d'outre-tombe? Il est vrai que ces
découvertes, si l'on peut y donner ce nom, contrarient quelque peu
certaines idées reçues ; mais est-ce que toutes les grandes découvertes
scientifiques n'ont pas également modifié, bouleversé même les idées les
plus accréditées, et n'a-t-il pas fallu que notre amour-propre se courbât
devant l'évidence ? Il en sera de même à l'égard du spiritisme et, avant
peu, il aura droit de cité parmi les connaissances humaines.
Les communications avec les êtres d'outre-tombe ont eu pour résultat
de nous faire comprendre la vie future, de nous la faire voir, de nous
initier aux peines et aux jouissances qui nous y attendent selon nos
mérites, et par cela même de ramener au
spiritualisme ceux qui ne
voyaient en nous que de la matière, qu'une machine organisée ; aussi
avons-nous eu raison de dire que le spiritisme a tué le matérialisme par
les faits. N'eût-il produit que ce résultat, l'ordre social lui en devrait de la
reconnaissance ; mais il fait plus : il montre les inévitables effets du mal
et, par conséquent, la nécessité du bien. Le nombre de ceux qu'il a
ramenés à des sentiments meilleurs, dont il a neutralisé les tendances
mauvaises et détourné du mal, est plus grand qu'on ne croit, et
s'augmente tous les jours ; c'est que pour eux l'avenir n'est plus dans le
vague ; ce n'est plus une simple espérance, c'est une vérité que l'on
comprend, que l'on s'explique, quand on
voit et qu'on
entend ceux qui
nous ont quittés se lamenter ou se féliciter de ce qu'ils ont fait sur la
terre. Quiconque en est témoin se prend à réfléchir, et sent le besoin de
se connaître, de se juger et de s'amender.
IX
Les adversaires du spiritisme n'ont pas manqué de s'armer contre lui de
quelques divergences d'opinions sur certains points de la doctrine. Il
n'est pas étonnant qu'au début d'une science, alors que les observations
sont encore incomplètes, et que chacun l'envisage à son point de vue, des
systèmes contradictoires aient pu se produire ; mais déjà les trois quarts
de ces systèmes sont, aujourd'hui, tombés devant une étude plus
approfondie, à commencer par celui qui attribuait toutes les
communications à l'Esprit du mal, comme s'il eût été impossible à Dieu
d'envoyer aux hommes de bons Esprits : doctrine absurde, parce qu'elle
est démentie par les faits ; impie, parce qu'elle est la négation de la
puissance et de la bonté du Créateur. Les Esprits nous ont toujours dit de
ne pas nous inquiéter de ces divergences et que l'unité se ferait : or,
l'unité s'est déjà faite sur la plupart des points, et les divergences tendent
chaque jour à s'effacer. A cette question : En attendant que l'unité se
fasse, sur quoi l'homme impartial et désintéressé peut-il se baser pour
porter un jugement ? Voici leur réponse :
« La lumière la plus pure n'est obscurcie par aucun nuage ; le diamant
sans tache est celui qui a le plus de valeur ; jugez donc les Esprits à la
pureté de leur enseignement. N'oubliez pas que parmi les Esprits il y en a
qui n'ont point encore dépouillé les idées de la vie terrestre ; sachez les
distinguer à leur langage ; jugez-les par l'ensemble de ce qu'ils vous
disent ; voyez s'il y a enchaînement logique dans les idées ; si rien n'y
décèle l'ignorance, l'orgueil, ou la malveillance ; en un mot, si leurs
paroles sont toujours empreintes du cachet de sagesse qui décèle la
véritable supériorité. Si votre monde était inaccessible à l'erreur, il serait
parfait, et il est loin de là ; vous en êtes encore à apprendre à distinguer
l'erreur de la vérité ; il vous faut les leçons de l'expérience pour exercer
votre jugement et vous faire avancer. L'unité se fera du côté où le bien
n'a jamais été mélangé au mal ; c'est de ce côté que les hommes se
rallieront par la force des choses, car ils jugeront que là est la vérité.
Qu'importent, d'ailleurs, quelques dissidences, qui sont plus dans la
forme que dans le fond ! Remarquez que les principes fondamentaux
sont partout les mêmes et doivent vous unir dans une pensée commune :
l'amour de Dieu et la pratique du bien. Quels que soient donc le mode de
progression que l'on suppose ou les conditions normales de l'existence
future, le but final est le même : faire le bien ; or, il n'y a pas deux
manières de le faire. »
Si, parmi les adeptes du spiritisme, il en est qui diffèrent d'opinion sur
quelques points de la théorie, tous s'accordent sur les points
fondamentaux ; il y a donc unité, si ce n'est de la part de ceux, en très
petit nombre, qui n'admettent pas encore l'intervention des Esprits dans
les manifestations, et qui les attribuent, ou à des causes purement
physiques, ce qui est contraire à cet axiome que : Tout effet intelligent
doit avoir une cause intelligente ; ou au reflet de notre propre pensée, ce
qui est démenti par les faits. Les autres points ne sont que secondaires et
n'attaquent en rien les bases fondamentales. Il peut donc y avoir des
écoles qui cherchent à s'éclairer sur les parties encore controversées de la
science ; il ne doit pas y avoir de sectes rivales les unes des autres ; il n'y
aurait antagonisme qu'entre ceux qui veulent le bien et ceux qui feraient
ou voudraient le mal : or, il n'est pas un spirite sincère et pénétré des
grandes maximes morales enseignées par les Esprits qui puisse vouloir le
mal, ni souhaiter le mal de son prochain, sans distinction d'opinion. Si
l'une d'elles est dans l'erreur, la lumière tôt ou tard se fera pour elle, si
elle la cherche de bonne foi et sans prévention ; en attendant, toutes ont
un lien commun qui doit les unir dans une même pensée ; toutes ont un
même but; peu importe donc la route, pourvu que cette route y
conduise ; nulle ne doit s'imposer par la contrainte matérielle ou morale,
et celle-là seule serait dans le faux qui jetterait l'anathème à l'autre, car
elle agirait évidemment sous l'influence de mauvais Esprits. La raison
doit être le suprême argument, et la modération assurera mieux le
triomphe de la vérité que les diatribes envenimées par l'envie et la
jalousie. Les bons Esprits ne prêchent que l'union et l'amour du
prochain, et jamais une pensée malveillante ou contraire à la charité n'a
pu venir d'une source pure. Ecoutons sur ce sujet, et pour terminer, les
conseils de l'Esprit de saint Augustin.
« Assez longtemps, les hommes se sont entre-déchirés et renvoyé
l'anathème au nom d'un Dieu de paix et de miséricorde, et Dieu s'offense
d'un tel sacrilège. Le spiritisme est le lien qui les unira un jour, parce
qu'il leur montrera où est la vérité et où est l'erreur ; mais il y aura
longtemps encore des scribes et des pharisiens qui le dénieront, comme
ils ont dénié le Christ. Voulez-vous donc savoir sous l'influence de quels
Esprits sont les diverses sectes qui se partagent le monde ? Jugez-les à
leurs oeuvres et à leurs principes. Jamais les bons Esprits n'ont été les
instigateurs du mal ; jamais ils n'ont conseillé ni légitimé le meurtre et la
violence ; jamais ils n'ont excité les haines des partis ni la soif des
richesses et des honneurs, ni l'avidité des biens de la terre ; ceux-là,
seuls, qui sont bons, humains et bienveillants pour tout le monde, sont
leurs préférés et sont aussi les préférés de Jésus, car ils suivent la route
qu'il leur a montrée pour arriver à lui. »
SAINT AUGUSTIN.